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Alex Lutz : « Connemara » a des points communs avec Catherine et Liliane »

Connemara, adaptation du livre éponyme sortie chez Actes sud en 2022, a enchanté le Festival de Cannes où il a été présenté en avant-première. Le film, réalisé par Alex Lutz, réunit une quadragénaire revenue dans ses Vosges natales après un burn-out et un ancien ami qu’elle a connu au lycée.


La rencontre entre le romancier Nicolas Mathieu et Alex Lutz a véritablement été bénie. Connemara, adaptation du livre éponyme parue chez Actes Sud en 2022, a ravi le Festival de Cannes où le film a été présenté en avant-première. « J’ai été ébloui par la finesse d’écriture de Nicolas Mathieu, par son acuité et son sens de la nuance », confie Alex Lutz à 20 Minutes. « Il a un sens du portrait dont je me sens proche. Il aime les gens et cela se sent. »

L’intrigue de ce film d’amour met en scène une quadragénaire qui retourne dans ses Vosges natales après avoir vécu un burn-out, et un ancien camarade de lycée. Autrefois amoureuse de lui, elle a vu leur relation évoluer avec le temps. Dans les rôles principaux, Mélanie Thierry et Benjamin Bouillon livrent des performances remarquables. « Cela parle de la grande histoire des hommes et des femmes, enfin de l’humanité, mais par la petite histoire, par la petite porte, sans que ça soit misérabiliste », précise Alex Lutz.

Un passé qui colle à la peau

Le retour au pays et la perspective d’une seconde chance amoureuse dessinent un parcours douloureux empreint d’une forte mélancolie. « Le livre convoque la possibilité du souvenir », insiste le réalisateur. « J’ai essayé de retrouver ce sentiment par évocation, de montrer que le passé surgit parfois de manière étonnante, même au travers de souvenirs un peu étranges. Je souhaitais que cela soit organique. » Cette plongée dans le passé des personnages par des détails permet de partager leurs vies dans leur dimension la plus intime.

« J’ai articulé le film autour de trois corps : le corps social, le corps en devenir des adolescents, et ce que j’appelle le corps « devenu », c’est-à-dire ce qu’ils sont finalement devenus », souligne Alex Lutz, qui navigue entre passé et présent avec sensibilité, mais sans nostalgie. « On est constitué du passé dont on se souvient », dit-il. « C’est un sujet qui m’a toujours passionné. » Ce thème est également abordé dans son spectacle Sexe, drogue et rocking-chair, actuellement en tournée et prévu pour une reprise à Paris en 2026, où il traite du décès de son père.

Sensuel et pudique

« Tout se rejoint dans mon travail. La thématique de Connemara a même des points communs avec les sketches de Catherine et Liliane », explique le réalisateur. « Elles étaient aussi des femmes dans un entre-deux temps. Leur histoire était aussi une histoire de temps. Elles essayaient de prendre le train de leur époque sans y parvenir toujours, mais avec bonne volonté. » Le couple de Connemara se trouve tiraillé entre deux modes de vie et deux classes sociales : la jeune femme qui a réussi en ville ne parvient pas à retrouver son amant, qui n’a jamais quitté leur région. L’amour ne suffit pas à préserver une relation que l’on devine déjà compromise une fois que l’ardeur de la passion diminue.

Les émotions exacerbées et leur déclin subtil ne sont jamais dévoilés de manière indécente, tout en conservant une tendresse palpable tant dans les moments de bonheur que de chagrin. « Je dois beaucoup à ma cheffe opératrice Éponine Momenceau », confie Alex Lutz. « Elle danse avec les interprètes comme dans une chorégraphie charnelle. Elle a une manière d’envelopper les corps qui exclut l’impudeur et transforme ses images en objets artistiques. Sa façon de filmer est un ballet. »

Le Grand Est est aussi un personnage à part entière de Connemara. Ses paysages sauvages et ses villages enveloppent les personnages d’un cocon. « C’est ma région, un peu de mes globules ; il aurait été impossible que le film se fasse ailleurs. J’ai aussi l’impression de raconter un peu l’histoire de ma famille », reconnaît Alex Lutz.

Une chanson épique

On n’est peut-être pas si loin du Connemara, région d’Irlande mise en avant par Michel Sardou dans la chanson qui a inspiré le titre du livre et du film. « C’est incroyable le pouvoir qu’une chanson populaire peut avoir ; elle vous fait vivre des émotions intenses, qu’on l’apprécie ou non. Elle reste ancrée en vous même si vous la détestez. On ne la ressent jamais de la même manière tout au long de notre vie. » Il n’a donc jamais envisagé de changer le titre du film. « Connemara fait rêver parce que ce mot évoque immédiatement des images de voyage », commente Alex Lutz. « Même si ce que l’on imagine est faux, la chanson possède un côté épique, comme un appel à l’aventure. » L’aventure que partage son film est douce et cruelle à la fois. C’est très beau. Tout simplement.