Belgique

Démissions, agressions et grèves : la crise perdure à Haren.

Une enquête pour corruption au sein de la prison de Haren a été ouverte par le parquet de Bruxelles, impliquant majoritairement des agents pénitentiaires et ayant conduit à la privation de liberté de douze personnes. Selon le syndicat CGSP, depuis l’ouverture de la prison il y a trois ans, 84 agents pénitentiaires ont démissionné et le taux d’absentéisme est jugé catastrophique avec une moyenne de 150 malades par jour.


Que se passe-t-il derrière les murs de la prison de Haren ? Depuis plusieurs mois, les problèmes s’accumulent. Le parquet de Bruxelles a ouvert une enquête pour corruption au sein de l’établissement pénitentiaire, impliquant des agents, et douze individus ont été arrêtés.

D’après nos sources, ces personnes incluent principalement des agents de prison, mais aussi d’autres membres du personnel et des détenus. Dans un communiqué publié jeudi, le parquet bruxellois a indiqué que trois personnes avaient été placées sous mandat d’arrêt pour « des faits de vente et détention de stupéfiants, vente et détention de stupéfiants en association, association de malfaiteurs et corruption publique ».

Parallèlement à ce phénomène qui ne concerne qu’une minorité de gardiens, d’autres problèmes semblent enfler. Pour mieux comprendre la situation dans cette prison, nous avons rencontré plusieurs employés, y compris un ancien travailleur.

Adrian, qui a été en poste au greffe de Haren dès l’ouverture de la prison, décrit un service essentiel à son bon fonctionnement. Sa mission était de gérer l’administration, incluant les demandes d’avocats et des détenus. Cependant, il constate un sous-effectif à Haren, avec à peine huit personnes sur les trente initialement prévues. Ce manque de personnel a entraîné des erreurs graves. « Il y a des gens qui auraient dû continuer leurs détentions. Malheureusement, leur détention a été arrêtée suite à une erreur de l’administration au niveau du greffe. D’autres personnes qui devaient sortir, par exemple le lundi, ont vu leur demande traitée seulement le vendredi, ce qui a entraîné quatre jours de détention illégale », dit-il.

Ces erreurs, selon Adrian, sont en grande partie dues à la pénurie de personnel et à un manque d’expérience au greffe à l’époque de son emploi. Malgré cela, il ne comptait pas ses heures. « J’ai été obligé de travailler entre dix et douze heures par jour avec quatre heures de trajet aller-retour », rajoute-t-il, ce qui a affecté sa santé. « J’ai des problèmes de santé sérieux au niveau de mon estomac. Je commençais à cracher beaucoup de sang tous les matins avant d’aller travailler. Néanmoins, j’ai continué à y aller. »

Adrian ayant souffert d’ulcères à l’estomac, il pense que son stress au travail a aggravé ses problèmes de santé. « On n’avait pas vraiment l’opportunité de s’arrêter. À un moment donné, ça a cédé et j’ai décidé de partir. » Au bout d’un an et demi, il a finalement démissionné.

### Témoignage

Adrian a travaillé au greffe de la prison de Haren dès son ouverture, un service essentiel au fonctionnement de l’établissement, gérant les demandes d’avocats et de détenus. Cependant, il décrit un service en sous-effectif avec à peine huit personnes où trente étaient nécessaires. Ce manque a mené à des erreurs. « Il y a des gens qui auraient dû continuer leurs détentions… mais malheureusement, elle a été arrêtée suite à une erreur de l’administration au niveau du greffe. »

Ces erreurs graves étaient le résultat d’un manque de personnel et d’expérience, mais malgré cela, Adrian travaillait de longues heures. « J’ai été obligé de travailler entre dix et douze heures par jour avec quatre heures de trajet aller-retour. » Cela a eu un impact sur sa santé. « J’ai commencé à cracher énormément de sang tous les matins avant d’aller travailler. Pourtant, j’ai continué. »

Adrian a eu des ulcères à l’estomac, aggravés, selon lui, par le stress. « On n’avait pas vraiment l’opportunité de s’arrêter. Il y a un moment où il y a eu une rupture et j’ai décidé de partir. »

Après un an et demi, il a donc démissionné.

### 84 démissions en 3 ans et 150 malades par jour

Adrian n’est pas le seul à avoir quitté son poste. Depuis l’ouverture de la prison il y a trois ans, 84 agents pénitentiaires ont démissionné, selon le syndicat CGSP. En plus de ces départs, de nombreux arrêts maladie sont à déplorer. « Au niveau de l’absentéisme, c’est une catastrophe », précise Laurent Lardinois, secrétaire régional CGSP prison. « Les agents sont tellement sous pression qu’on tourne avec une moyenne de 150 malades par jour. » Cette situation est d’autant plus préoccupante si l’on considère le cadre de personnel prévu.

Lors de l’ouverture de la prison, un certain nombre d’agents avait été prévu, mais ce cadre, jugé insuffisant par les syndicats, doit être revu. « Lorsque ce cadre aura été revu, il manquera au moins 160 agents. Donc 160 manquants, plus 150 malades, c’est pratiquement mission impossible », explique Laurent Lardinois.

Qu’est-ce qui cause ces nombreuses démissions et arrêts maladie ? Selon Lardinois, il faut considérer « des personnes qui ont peur de venir travailler et dont la seule option pour éviter cela est de se déclarer malades ». Pour lui, il s’agit de « gens qui sont à bout, car ils ont été mis sous pression, vivent dans un stress permanent et qui craquent tout simplement. »

C’est notamment le cas d’Adrian, qui a connu une rupture. « À plusieurs reprises, je me suis retrouvé en maladie. J’ai des ulcères. Et ça n’aidait pas. Le stress, la colère, la pression ; toujours devoir aller vite. Le manque de sommeil également. » Adrian a finalement pris un mois de congé pour un burn-out.

Contactée, l’administration pénitentiaire indique que le cadre du personnel pour la prison est fixé à 795 équivalents temps plein. Actuellement, selon l’administration, le nombre de travailleurs est de 852, représentant 714,5 équivalents temps plein.

### Un nombre d’agressions qui explose

Le manque de personnel engendre des tensions avec les détenus. Depuis l’ouverture, les agressions envers les agents se sont multipliées. Des documents internes que nous avons obtenus confirment cette tendance. En 2024, 60 agressions physiques contre des gardiens de prison ont été recensées, soit trois fois plus qu’en 2023. La violence s’exprime à l’intérieur des murs, mais aussi à l’extérieur, avec des voitures incendiées et des cocktails Molotov lancés sur des domiciles d’agents. La pression subie par le personnel pénitentiaire est réelle, affectant parfois de jeunes employés.

« Ils se retrouvent face à des détenus qui sont frustrés, qui sont même en colère », explique Florim Kelmendi, accompagnateur de détention et délégué syndical CGSP. Selon lui, les détenus « profitent de la jeunesse des nouveaux agents pour les insulter et, en fin de compte, si l’agent ne réagit pas comme il se doit, il peut se faire agresser. »

Cette violence contribue également à poussés certains jeunes agents à quitter leurs postes. « À un moment donné, ils se disent : ‘est-ce que je reste ici ou est-ce que je pars ?' », ajoute Kelmendi. Il souligne que ces jeunes recrues manquent souvent de formation adéquate pour gérer leurs fonctions, une observation partagée par d’autres agents que nous avons contactés.

Pour sa part, l’administration pénitentiaire estime que, compte tenu du nombre élevé de détenus, il n’y a pas plus d’incidents à Haren que dans d’autres établissements pénitentiaires.

### Manque de formation et désillusion

Cette violence dirigée vers de jeunes agents pénitentiaires inexpérimentés, souvent en début de carrière, incite certains à quitter la prison de Haren.

Ouverte en 2022, cette prison devait être le symbole d’un nouveau modèle de détention, alliant technologie et humanité, avec des créations de nouveaux postes comme « accompagnateurs de détention ».

Cependant, selon plusieurs agents rencontrés, le manque de personnel rend ces fonctions, supposées être plus « sociales » et en contact avec les détenus, essentiellement axées sur la sécurité. Cela contribuerait à expliquer le grand nombre de départs, selon Laurent Lardinois. « Il y a un cocktail explosif ici à Haren. Le recrutement n’a pas été anticipé. […] Pour cela, on a élargi le filet, mais a-t-on véritablement recruté les personnes que l’on voulait ? », s’interroge-t-il, en ajoutant que les personnes censées avoir des fonctions sociales ont découvert un écart entre la promesse faite et la réalité sur le terrain.

Contactée, l’administration pénitentiaire rappelle que chaque nouveau collaborateur bénéficie de 40 jours de formation et de 20 jours d’apprentissage sur le terrain pour les fonctions de surveillance. Pour les accompagnateurs de détention, la formation dure près de cinq semaines, suivie d’un stage pratique.

Enfin, l’administration souligne ses trois priorités : « Tout d’abord, il faut réduire la surpopulation. Nous avons également besoin de ressources supplémentaires de toute urgence et, enfin, la sécurité de notre personnel doit être renforcée. »