Taser, bombe lacrymogène : ces femmes ne sortent plus sans armes le soir
Sous le sapin de Noël en décembre 2023, Juliette reçoit un stylo projetant du gaz lacrymogène, offert par son petit frère pour qu’elle puisse se défendre après avoir été agressée lors d’un festival l’été précédent. Marianne, ayant été agressée trois mois auparavant, reçoit un taser en cadeau, qu’elle glisse dans son sac lorsqu’elle rentre tard chez elle.
Sous le sapin de Noël en décembre 2023, un cadeau rectangulaire attend Juliette*. Après avoir déballé le papier, la jeune femme de 28 ans découvre un stylo. Bien que son apparence soit banale, il s’agit d’un crayon particulier. Sous son capuchon se cache un bouton permettant de libérer du gaz lacrymogène. Ce cadeau, offert par son petit frère, a pour but de lui permettre de se défendre, Juliette ayant été agressée lors d’un festival l’été précédent.
Depuis près de deux ans, le stylo accompagne Juliette dans son sac banane. « Je vis dans un quartier où il y a beaucoup d’hommes qui traînent dans la rue. Dès que je me sens en insécurité, souvent la nuit, je le sors de ma banane et je le tiens en main avec le capuchon ouvert, prête à pulvériser le spray. Je ne sais pas si je réussirais à l’utiliser en cas d’agression, si jamais je suis paralysée. Mais je suis tout de même rassurée de l’avoir avec moi. »
Faux rouge à lèvres lacrymogène
À l’instar de Juliette, de nombreuses femmes se dotent de moyens pour se sentir en sécurité et se protéger en cas d’agression. C’est le cas de Marianne. Un soir d’avril, alors qu’elle rentre chez elle en banlieue parisienne, un homme la projette au sol et l’agresse. Trois mois plus tard, pour son anniversaire, son compagnon lui offre un taser. Depuis, elle le range dans son sac dès qu’elle sait qu’elle rentrera tard. « Un taser, c’est très impressionnant, affirme-t-elle. Si je l’avais sorti, l’agresseur serait probablement parti en courant. »
Les bombes lacrymogènes de petite taille, les gels au poivre et les tasers de contact (à ne pas confondre avec les pistolets à impulsions électriques de la police nationale), qui coûtent entre une dizaine et une trentaine d’euros, appartiennent à la catégorie 4 des armes. Leur achat et leur détention sont légaux en France pour toute personne majeure. Sur Internet, de nombreuses armureries promeuvent ces produits d’autodéfense, ciblant parfois spécifiquement les femmes. L’un des sites propose une gamme « femme fatale » comprenant divers accessoires : faux rouge à lèvres, porte-clés et stylo. Tous sont roses, bien sûr.

Un « motif légitime »
Bien que l’achat et la possession de ce type d’arme soient permis, leur port et leur transport sont interdits par la loi, sauf en cas de « motif légitime ». « La loi ne précise pas ce qui constitue un motif légitime, c’est à l’appréciation des juges, indique Maître Aurore Le Guyon, avocate en droit pénal. En pratique, aucun procureur ne poursuivra une femme utilisant une bombe lacrymogène ou un taser en cas d’agression. » Si l’agresseur engage des poursuites, « le procureur a la liberté d’agir et classera très probablement l’affaire sans suite, car il s’agit de légitime défense », précise Maître Aurore Le Guyon.
Maître Margaux Castex, également avocate en droit pénal, a récemment défendu une femme agressée sexuellement qui a utilisé une bombe au poivre. « La défense a argué qu’il n’y avait pas d’égalité des armes, mais nous avons remporté l’affaire. » « En général, l’utilisation de ce type d’arme est largement disproportionnée par rapport à la gravité de l’agression », souligne Maître Castex.
Une arme pouvant se retourner contre la victime
En choisissant de s’armer, ces femmes prennent également un risque : l’arme peut se retourner contre elles. « Je sais que le gaz peut me revenir dessus à cause du vent, car sa portée est assez importante », admet Juliette. L’arme peut aussi être saisie par l’agresseur. « J’ai défendu une jeune fille embêtée par un homme dans le métro, raconte Maître Margaux Castex. Elle a sorti sa bombe lacrymogène, l’homme l’a attrapée, l’a gazée et cela a mal tourné. Bien sûr, l’agression avec arme a été reconnue, peu importe que l’objet appartienne à la victime. » Marianne est consciente de ce risque, mais tente de le minimiser. « Contrairement à un couteau, si mon taser est utilisé contre moi, je ne vais pas mourir. Au pire, je vais simplement tomber dans les pommes. »
Maître Margaux Castex souhaiterait que l’achat de ces armes soit mieux réglementé. « Les fabricants devraient expliquer leur fonctionnement. Ce sont des armes, et il est crucial de savoir comment les utiliser. »
* Les prénoms ont été modifiés

