LinkedIn, de symbole de réussite à plateforme de désespoir.
L’évolution des discours sur LinkedIn reflète un changement significatif des aspirations professionnelles, marquées par une tendance à mettre en avant les échecs et les vulnérabilités plutôt que les success stories. Alors que la dynamique d’un réseau centré sur le succès flamboyant s’estompe, une reconnaissance croissante des défis rencontrés par les jeunes professionnels et les seniors émerge, transformant le réseau social en une plateforme de partage d’expériences authentiques.
Où sont passés les émojis de fusées et les discours triomphants ? Les slogans « Devenez votre propre héros » et les salaires à sept chiffres affichés comme des médailles ? Autrefois considéré comme le phare de la réussite professionnelle, LinkedIn montre aujourd’hui des signes de mélancolie. Un étudiant en commerce se plaint de sa quête d’alternance après avoir envoyé 370 CV, tandis qu’un salarié s’accumule en CDD sans jamais atteindre la stabilité d’un CDI. Au loin, un quinquagénaire, chargé de regrets, n’arrive pas à retrouver un emploi malgré son expérience.
Les histoires d’échecs et de difficultés, longtemps taboues sur ce réseau social dédié aux « réussites » éclatantes, prennent aujourd’hui de l’ampleur. Stéphanie Laporte, directrice du Master Communication digitale et Social Media à l’INSEEC, souligne une évolution dans le discours professionnel : « On est moins dans l’idée de la carrière parfaite et il devient courant d’exprimer ses doutes et ses failles. »
### Le malheur rend humain, l’humain rend engageant
Avec la stagnation économique et un État en phase d’austérité, le marché de l’emploi est devenu complexe, touchant aussi bien les jeunes que les seniors. Selon l’experte, les jeunes générations rejoignent LinkedIn, suite à l’abandon de Facebook et à la désaffection pour Twitter. « La suppression de nombreux postes juniors en raison de l’IA et une génération qui aborde davantage sa santé mentale après la pandémie expliquent cette situation », précise-t-elle, ajoutant que les difficultés à trouver des alternances se renforcent avec la réduction des aides publiques.
Étonnamment, ce malaise trouve un certain écho auprès des utilisateurs de LinkedIn. À l’instar des fans de super-héros qui préfèrent un Spider-Man complexe à un Superman trop parfait, les récits d’échecs et de vulnérabilité sont jugés plus touchants que les success stories ininterrompues. Caroline Mignaux, co-fondatrice de l’Agence Personnelle spécialisée dans le marketing sur les réseaux sociaux, confirme : « C’est une tendance qui permet de donner de l’émotion et de faire de LinkedIn un lieu d’expression de plaintes et de batailles pour la justice sociale. »
### Concurrence accrue
La colère est également une émotion clé. Mignaux souligne qu’elle est très efficace en marketing, car elle favorise l’engagement et incite à interagir avec les publications. « Sur LinkedIn, comme sur d’autres réseaux sociaux, des récits personnels génèrent plus d’engagement. On privilégie les émotions sincères plutôt que les simples réalisations professionnelles », ajoute Stéphanie Laporte.
En ce qui concerne les success stories, elles continuent d’exister mais se perdent parmi une user base croissante. D’après le rapport Algorithm InSights 2025, 95 % des créateurs de contenu voient la portée de leurs posts diminuer de 48 % en un an, tandis que l’engagement baisse de 25 %. Carina Cheklit, stratège en communication, observe une montée des utilisateurs actifs qui rendent la concurrence plus féroce, avec une augmentation de 25 % des publications.
### Plus de temps d’attention, moins de fausseté
Dans ce contexte, les publications exprimant la colère émergent rapidement, car elles sont perçues comme authentiques. Cheklit ajoute qu’elles ouvrent la discussion sur des thèmes sensibles rarement abordés, enrichissant le débat grâce à des commentaires instructifs. Ces interventions captent l’attention des lecteurs plus longtemps, ce qui favorise leur visibilité sur la plateforme.
En revanche, les messages vantant des salaires exorbitants ou des routines matinales exténuantes ne suscitent plus d’intérêt. « Les contenus trop standards, peu authentiques ou générés par les algorithmes perdent souvent de leur impact et peuvent même être désavantagés. De plus en plus de cadres adoptent un ton personnel dans leur communication », conclut Carina Cheklit.
### « Pas le droit de raconter n’importe quoi »
Un autre facteur de ce changement réside dans l’affrontement des discours exagérés d’hier avec la réalité actuelle. Certains influenceurs ont fait l’objet de vérifications fiscales après avoir partagé des données sur leur rémunération. Caroline Mignaux remarque qu’il y a des vérifications croissantes, incitant les entrepreneurs à ne plus faire de promesses surévaluées pour susciter l’intérêt.
Pour cette Top Voice, LinkedIn connaît une sorte de « revanche », où de nombreux utilisateurs dénoncent des pratiques qu’ils jugent injustes. La conclusion est que cette évolution favorise une libération de la parole, bien qu’elle puisse parfois flirter avec un misérabilisme excessif.

