France

Paris : « A ce moment, je perds complètement les pédales »… La dérive sanglante d’un policier jaloux et impulsif aux assises

Sur la photo, postée par sa mère sur Facebook, elle pose souriante devant le château de Versailles. De longs cheveux blonds, des yeux bleus, un manteau noir, une écharpe blanche nouée autour du cou. La jeune femme s’amuse en pointant du doigt l’objectif de l’appareil photo. Originaire des Clayes-sous-Bois, dans les Yvelines, Amanda, 28 ans, était « une personne exceptionnelle, une jeune femme libre, empathique, bienveillante, indépendante et artiste de talent », a souligné sa famille dans un communiqué publié en février 2022, quelques jours après sa mort. Le principal suspect, Arnaud Bonnefoy, est policier. Et il n’est autre que son compagnon. Âgé aujourd’hui de 33 ans, il comparaît à partir de ce mardi devant la cour d’assises de Paris. Il encourt la réclusion criminelle à perpétuité.

Les faits remontent au 28 janvier 2022. Ce jour-là, le gardien de la paix, qui travaille au Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis), appelle son service pour prévenir de son absence. Immédiatement, ses collègues s’inquiètent. Il faut dire que le jeune homme, originaire de Marseille, est connu pour être fragile psychologiquement. Sa hiérarchie, craignant qu’il tente de se faire du mal, alerte les fonctionnaires du 19e arrondissement de Paris pour qu’ils se rendent chez lui, rue David d’Angers. Arrivés sur place vers 20h20, les agents pénètrent dans l’appartement situé au troisième étage avec l’aide de la gardienne de l’immeuble. Ils découvrent dans la salle de bains le corps sans vie d’Amanda Glain. La victime, vêtue d’un legging et d’un manteau, est allongée sur le flanc gauche en position fœtale. Son sac à dos est ouvert. Elle ne présente aucune trace de blessures externes. L’autopsie révélera qu’elle a été étranglée.

« Pute », « grosse merde », « petite salope »

Arnaud Bonnefoy, lui, a pris la fuite à bord de sa Peugeot 206 blanche avec son arme de service. Son téléphone a cessé d’émettre après l’envoi d’un dernier message à son père dans la matinée, « papa je t’aime ». Pour les enquêteurs du 2e district de police judiciaire, il fait office de principal suspect. Il faut dire qu’en 2019, il avait déjà été placé en garde à vue après qu’une ex-compagne a déposé plainte contre lui pour des violences. Epuisée par ses crises de jalousie aussi violentes que répétées, elle avait mis un terme à leur relation. Par vengeance, il avait saccagé son appartement et lui avait volé des effets personnels, l’avait harcelé plusieurs semaines durant. Il avait alors été condamné par le tribunal de grande instance à suivre un stage de sensibilisation aux violences conjugales. Sur le plan administratif, Arnaud Bonnefoy avait écopé d’un avertissement, la plus basse sanction de la fonction publique et qui ne fait l’objet d’aucune mention dans le dossier de l’agent. Il a également fait l’objet d’un « suivi social », assuré par des psychologues, assistantes sociales et médecins de prévention.

En juin 2021, la police est intervenue à son domicile après qu’il s’est disputé avec Amanda, sa nouvelle conjointe. Une main courante avait été déposée. Ce jour-là, elle souffle aux fonctionnaires qui interviennent avoir été victime de violences de la part de son conjoint. Le fuyard a rencontré la victime sur Tinder en 2019. Les proches de la jeune femme jugent que leur relation était destructrice. Tous se rappellent des disputes du couple, des crises de jalousie du policier au caractère « sanguin ». « Pute », « grosse merde », « petite salope »… Il l’insulte, souvent, lui manque de respect, fouille dans son téléphone comme le montrent les messages échangés. « Je vais te crever », lui écrit-il plusieurs fois. Amanda s’isole. Mais elle ne trouve pas la force de quitter cet homme qu’elle semble malgré tout aimer. Elle excuse son « impulsivité », lui laisse plusieurs fois une dernière chance. Une erreur qui lui sera fatale.

« Je perds complètement les pédales »

Quelques jours après la découverte du corps d’Amanda, les enquêteurs découvrent que le fugitif a effectué un retrait de 1.500 euros à Breteuil, dans l’Oise, à une centaine de kilomètres de Paris. Un premier appel à témoins est diffusé, puis un second​. Des témoins contactent les policiers et indiquent avoir croisé le suspect dans un foyer pour sans-abri à Camon, dans la Somme. Il se faisait alors appeler Kevin Pel. La voiture d’Arnaud Bonnefoy, son arme de service ainsi que deux chargeurs pleins sont retrouvés à Amiens, sur le parking d’un restaurant Burger King, après que le véhicule a été reconnu par un riverain.

Après trois semaines de cavale, Arnaud Bonnefoy appelle la gendarmerie le 22 février pour signaler sa présence chez son père, à Montmeyan, dans le Var, où il est appréhendé sans résistance. Aux enquêteurs et au juge d’instruction, il raconte s’être disputé avec Amanda au sujet de conversations qu’elle entretenait sur les réseaux sociaux avec d’autres hommes. Agacée par les excès de jalousie de son compagnon, elle lui annonce le lendemain son intention de le quitter. Elle le traite de « connard » et de « looser ».

« Elle continuait en me disant que de toute façon, elle n’aura pas de mal à trouver quelqu’un d’autre qu’elle mérite mieux. A ce moment-là, je perds complètement les pédales. » Il la saisit à la gorge avec les deux mains et serre son cou « très fort » pour la faire arrêter de « dire toutes ces choses qui [lui] faisaient du mal ». Inconsciente, elle chute sur le sol. « Mais qu’est-ce que tu fais ? » lui demande-t-il. Il l’asperge d’eau froide, lui demande de « se réveiller ». Quand il comprend qu’Amanda est morte, il envisage de se suicider. Ressentant le « besoin de souffler pour comprendre », il monte dans sa voiture et prend la route sans direction précise, après s’être débarrassé de son téléphone et de son ordinateur.

Pas d’abolition du discernement

Il dort ensuite plusieurs nuits dans son véhicule, sur le parking d’un CHU, avant d’échouer dans le foyer de Camon durant une quinzaine de jours. Il descend ensuite dans le sud en utilisant le service Blablacar. Arrivé chez son père, il s’excuse et lui demande d’appeler les gendarmes. A l’issue de sa garde à vue, il est présenté à un juge d’instruction qui le met en examen pour « homicide volontaire par conjoint, concubin ou partenaire », une circonstance aggravante. Devant le magistrat, il reconnaît les faits et exprime des regrets. Il évoque ses problèmes financiers, le décès de sa mère, la pression de ses chefs, son isolement en région parisienne. La psychiatre qui l’a examiné « conclut à l’absence de pathologie psychiatrique et à l’absence de trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli ou altéré son discernement », souligne l’ordonnance de renvoi consulté par 20 Minutes.

Contactés par nos soins, ses avocats, Mes Clémentine Perros et David Apelbaum, n’ont pas donné suite. « La famille Glain ne souhaite pas s’exprimer publiquement avant le procès. Elle espère que celui-ci permettra de faire toute la lumière sur le drame épouvantable qui les a frappés et que justice sera pleinement rendue à Amanda », a indiqué à l’AFP l’avocat des proches de la victime, Me Frédéric Delaméa, qui n’a pas répondu aux questions de 20 Minutes. Le verdict est attendu jeudi.