France

Harcèlement : La moitié des écoliers sont « souvent » victimes d’atteintes psychiques, physiques ou sexuelles

Mieux vaut tard que jamais. Après plus de six mois de délai, le ministère de l’Education nationale s’est résolu à publier en catimini dans l’été les résultats de la deuxième vague de son enquête annuelle sur le harcèlement scolaire, qui avait fait l’objet d’une communication en grande pompe lors de la première vague, en février 2024. Les résultats de cette nouvelle mouture, que s’est procurée 20 Minutes, sont, malgré une présentation qui semble à première vue minimiser l’existence du harcèlement, tout aussi inquiétants que la première. Ils révèlent par exemple que la moitié des élèves du CE2 au CM2 se déclarent victimes d’au moins une forme d’atteinte répétée, qu’il s’agisse d’insultes, de dénigrement, de moqueries, de coups voire d’agression sexuelle.

Tous les élèves de France, allant du CE2 à la Terminale, aussi bien dans le public que dans le privé, ont rempli en novembre 2024 un questionnaire, à l’occasion de la journée nationale de lutte contre le harcèlement à l’école. Cent trente-cinq écoles, 300 collèges et 300 lycées représentatifs ont été tirés au sort et invités à retourner les grilles d’auto-évaluation renseignées par leurs élèves. Les questions – 21 pour les écoliers et 31 pour les collégiens et lycéens – portaient à la fois sur ce qu’ils et elles pouvaient avoir subi (par exemple, « Est-ce qu’un ou plusieurs élèves se moquent de toi ou t’insultent ? » « Avez-vous subi des violences à caractère sexuel de la part d’un ou plusieurs élèves ? ») comme sur leur état psychologique (« As-tu du mal à t’endormir ou fais-tu des cauchemars à cause de ce que tu vis à l’école ? » « Vos notes baissent-elles à cause de ce que vous vivez au lycée ? »).

Un indice de victimisation plus faible au collège et au lycée

Les résultats sont édifiants. On découvre que la moitié des écoliers et écolières (51 %) sont victimes régulièrement (« souvent ou très souvent ») d’au moins une atteinte psychique, physique ou sexuelle (voir ci-dessous). Un quart des élèves sont par ailleurs victimes régulièrement de trois à sept de ces atteintes, et 3 % en subissent plus de huit de manière récurrente.

La liste des questions posées aux élèves du CE2 au CM2 concernant les atteintes subies.
La liste des questions posées aux élèves du CE2 au CM2 concernant les atteintes subies. - Capture d’écran Depp

Les collégiens et lycéens semblent un peu mieux lotis. Un tiers d’entre eux sont victimes d’au moins une atteinte régulièrement. Dans le détail, 4 % des collégiens déclarent être victimes régulièrement de cinq atteintes ou plus, quand les lycéens sont 3 % à déclarer subir autant de faits « souvent ou très souvent » (voir ci-dessous).

La liste des questions posées aux élèves de collège et lycée concernant les atteintes subies.
La liste des questions posées aux élèves de collège et lycée concernant les atteintes subies. - Capture d’écran Depp

Outre cet indice dit de « victimation », la Depp a adressé une batterie de questions concernant la qualité de vie à l’école, qui examine les effets que peuvent ou pourraient produire ces diverses atteintes sur les enfants. La précédente enquête permettait de savoir que 10 % des écoliers déclaraient avoir du mal à s’endormir ou faire des cauchemars à cause de ce qu’ils vivaient à l’école.

La nouvelle mouture du questionnaire nous apprend que 23 % des écoliers et écolières ont des problèmes pour dormir ou des maux de ventre ou de tête à cause de l’école, peur d’y aller, voire ont menti pour ne pas y aller, ou bien encore ressentent de la solitude ou de la tristesse à cause de l’école. Un quart des collégiens et lycéens, qui pouvaient cocher trois autres cases en plus, affirment ressentir au moins l’un de ces états. 6 % des écoliers ont coché au moins trois cases et donc conjuguent trois signaux d’inquiétude tandis que c’est le cas de 5 % des collégiens et lycéens.

Pour un élève du CE2 au CM2, il faut avoir déclaré 8 atteintes ou plus sur les 14 recensées dans les grilles ou avoir répondu négativement à au moins 5 questions sur 7 liées à la qualité de vie à l’école pour être considéré comme étant harcelé. Attention: il est indiqué dans le texte de la note « ET », contrairement à ce graphique pour lequel il s’agit clairement d’un « OU », et c’est bien un « OU » qu’il faut comprendre, nous explique la Depp, contactée par « 20 Minutes ».
Pour un élève du CE2 au CM2, il faut avoir déclaré 8 atteintes ou plus sur les 14 recensées dans les grilles ou avoir répondu négativement à au moins 5 questions sur 7 liées à la qualité de vie à l’école pour être considéré comme étant harcelé. Attention: il est indiqué dans le texte de la note « ET », contrairement à ce graphique pour lequel il s’agit clairement d’un « OU », et c’est bien un « OU » qu’il faut comprendre, nous explique la Depp, contactée par « 20 Minutes ». - 20 Minutes

Manque de moyens

« Ces chiffres nous inquiètent au plus haut point, et montrent que le problème reste systémique et qu’on est toujours en manque de moyens humains pour gérer ces situations », commente auprès de 20 Minutes Grégoire Ensel, vice-président de la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE), la plus importante des associations de parents d’élèves.

« Les chiffres sont énormes, mais je ne suis qu’à moitié surpris, car on ressent ce mal-être en discutant avec les enseignants et les élèves. Il y a une amélioration dans le traitement du harcèlement, nous le constatons dans les conseils de discipline, mais il y a un manque de moyens et toujours un manque de prise de conscience de la gravité de la situation de nos jeunes et de l’ampleur du désastre », complète Sylvain Duyck, son homologue de la PEEP.

L’enquête nous informe aussi que les établissements privés – qui n’étaient pas sondés l’année précédente, donc c’est une nouveauté – sont plutôt moins touchés au regard de ces deux variables (victimation et qualité de vie scolaire), avec des chiffres deux fois plus bas en primaire et entre lycées privés sous contrat et lycées publics. « On est plus sollicités par des écoles privées que des écoles publiques. A mon avis c’est mieux pris en charge », estime Jean-Pierre Bellon, cofondateur du Centre ReSIS, une association qui aide les établissements scolaires à traiter le harcèlement scolaire.

La violence scolaire liée à celle de la société et des réseaux sociaux

Mais pour ce pionnier en France de la lutte contre le harcèlement scolaire, la question n’est plus de mesurer le phénomène, dont on sait depuis quarante ans qu’il est massif, mais bien plutôt de le traiter. Or de ce point de vue le spécialiste est très inquiet. « On est en train de détricoter le programme pHare [programme du ministère pour lequel une équipe de cinq personnes formées au harcèlement scolaire doit être déployée dans chaque établissement], l’idée d’une équipe par établissement est terminée, se désole Jean-Pierre Bellon. Il n’y a plus de suivi au ministère dont les équipes n’arrêtent pas de changer avec des logiques différentes. Cela n’est plus du tout leur sujet. » Élisabeth Borne a pourtant utilisé le mot « harcèlement » cinq fois dans son discours de rentrée, et parlé de violence à sept reprises. Du vent ?

Sans compter que la lutte contre les violences scolaires exige une action bien au-delà des murs des établissements, une partie de la violence étant, d’après de nombreux experts et expertes, issue de l’augmentation d’une forme de violence dans la société et de plateformes numériques complètement débridées de ce point de vue, comme l’a illustré récemment la mort en direct de l’influenceur Jean Pormanove. « Certains réseaux sociaux emmènent les enfants vers des pratiques d’humiliation banalisées, estime le porte-parole PEEP. J’ai pu voir des élèves de 6e se partager des vidéos sados masos à caractère pornographique. Il est urgent d’agir. »