« On est tout le temps fatiguées »… Les enfants sans-abri font leur rentrée scolaire et rêvent d’avoir un toit

«On sort de l’école à 7 heures, et on y revient vers 19 heures pour passer la nuit dans le gymnase. On dort mal. On est tout le temps fatiguées ». Nora, 15 ans, résume ce qu’est, en ce moment, sa vie avec ses sœurs Adil, 18 ans, Riam, 7 ans, et leur mère Amina. A Lyon depuis un an, la famille reprend, en cette rentrée scolaire, le chemin de l’école de la petite dernière pour y dormir. Toutes les nuits, sur un matelas jeté au sol, pour éviter la rue. Le jour à l’école, avant de passer le temps « au jardin » d’à côté, à faire les devoirs quand les conditions le permettent, puis de rentrer vers leur refuge précaire.
« On ne peut rien préparer, on ne peut rien installer. Ce que l’on mange, c’est toujours froid, ajoute Nora. On est fatiguées, fatiguées… » « J’appelle tous les jours le 115 et on a l’assistante sociale, explique Amina, la mère de famille divorcée. Mais on n’a pas de réponses ».
Un nombre record d’enfants à la rue en 2025
Les sœurs font partie des 2.159 enfants laissés sans solution d’hébergement sur le territoire, selon l’Unicef et la Fédération des acteurs de la solidarité. Le nombre d’enfants de moins de 18 ans à la rue a augmenté de 6 % par rapport à 2024, et de 30 % depuis 2022. Parmi eux, le nombre d’enfants de moins de 3 ans qui n’a pas pu obtenir de places d’hébergement d’urgence augmente encore plus vite : ils sont 8 % de plus que l’an dernier, et 37 % de plus qu’en 2022. Un chiffre record.
« Et cela ne prend pas en compte celles et ceux qui n’appellent plus le 115 car la ligne est saturée », souligne Juliette Murtin, porte-parole du collectif lyonnais Jamais Sans Toit. En juillet, dans la métropole, l’association a comptabilisé 428 enfants à la rue, dont 48 bébés de moins de 3 ans.
Dès ce lundi de rentrée, des bénévoles du collectif vont accompagner des familles occuper un établissement scolaire la nuit. « Ces occupations sont illégales mais plus ou moins tolérées, rapporte Juliette Murtin. Le problème, c’est que ces actions s’installent dans le temps. Cela fait partie du paysage, cela ne choque plus. A Lyon, 235 enfants ont dormi l’année dernière dans 14 établissements scolaires de la métropole. Certains dorment depuis deux ans dans une école. Mais une école, ce n’est pas un lieu adapté ! », s’émeut la porte-parole de Jamais sans Toit.
Des familles à la rue, on en retrouve principalement en Ile-de-France, en Auvergne-Rhône-Alpes, en Occitanie ou dans les Hauts-de-France. Mais aussi à Rennes, en Bretagne. Trente-cinq familles, soit presque 100 enfants, vivent actuellement sur deux campements rennais, rapporte selon le « collectif élèves protégés de Rennes ». Quatre familles supplémentaires, dont treize enfants, dorment dans des écoles faute de solution. « Jamais Rennes n’a connu une telle situation », s’alarme le collectif rennais.
« Du bricolage solidaire »
L’année dernière, 16 écoles de Rennes ont été occupées pour mettre à l’abri 33 familles, représentant 94 enfants. Un nombre qui a presque doublé en deux ans : en 2022, 11 écoles étaient occupées pour abriter 17 familles, avec 45 enfants. Le collectif évalue à « 500.000 euros l’économie réalisée par l’État, près de 5.800 nuitées hôtelières n’ayant pas été prises en charge par la préfecture ».
A Lyon, en plus de l’accueil par des citoyens et les occupations d’écoles, les bénévoles de Jamais sans Toit ont déboursé environ 100.000 euros pour payer des nuits d’hôtel aux familles à la rue en 2024, selon Juliette Murtin. « C’est du bricolage solidaire. On appelle les pouvoirs publics à nous répondre car la situation est intenable. »
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Comment se concentrer en classe quand on ne dort pas la nuit ? « Riam s’endort en classe, répond sa maman Amina. La maîtresse connaît la situation. Les filles sont toujours fatiguées ». Comment s’intégrer dans une classe quand on vit dans la peur et l’insécurité ? Les deux grandes sœurs ne parlent pas de leur situation avec les autres élèves. Mais l’anxiété les ronge. « On ne pense à rien d’autre que d’avoir un logement, explique la jeune Adil. Un logement, c’est pouvoir faire des études, c’est pouvoir avoir des papiers. Sans logement, rien n’est possible. »

