Maroc

Enseignement supérieur : les syndicats s’élèvent contre le projet de loi 59.24, des mouvements de grève en perspective

Depuis sa publication, le projet de loi 59.24 relatif à l’enseignement supérieur, à la recherche scientifique et à l’innovation suscite de vives réactions au sein de la communauté universitaire marocaine. À peine le texte adopté par le gouvernement, le Syndicat national de l’enseignement supérieur a convoqué une réunion d’urgence, vendredi dernier à Rabat, afin de passer au peigne fin ses différentes dispositions. À l’issue de cette assemblée, le bureau national du Syndicat (enseignants-chercheurs) a recommandé «la plus grande prudence quant à l’engagement dans la réforme pédagogique annoncée par le nouveau projet de loi, dans l’attente de la tenue de la Commission administrative».

L’instance syndicale a en outre exhorté les «forces vives» du secteur à constituer un front national pour «défendre l’université publique et le système d’enseignement supérieur», tout en appelant les acteurs concernés à «faire preuve de vigilance et à se mobiliser massivement en vue d’engager toutes les formes de lutte nécessaires pour préserver l’enseignement supérieur public et la dignité des enseignants-chercheurs». Le Bureau a par ailleurs fermement condamné la méthode de travail adoptée par le ministre de l’Enseignement supérieur, de la recherche scientifique et de l’innovation, qui a choisi de soumettre le projet de loi 59.24 au Conseil du gouvernement du 28 août 2025 sans consulter au préalable les parties prenantes concernées par l’avenir de l’université et des établissements d’enseignement supérieur.

Une démarche qualifiée d’exclusiviste

Le syndicat estime que cette démarche confirme l’approche exclusiviste du ministre, qui n’a pas honoré les engagements pris lors de la dernière réunion avec le syndicat le 24 juillet 2025, notamment sur les dossiers du doctorat français, des promotions, de l’ancienneté générale et de l’exonération fiscale des indemnités de recherche scientifique. Le syndicat, qui considère que cette approche révèle un «mépris du rôle des partenaires sociaux», exige une «opposition résolue à tout projet de loi portant atteinte à l’identité de l’université publique en instaurant une logique de tutelle».

Voici pourquoi le projet de loi 59.24 sur l’enseignement supérieur est contesté par les étudiants

La même source dénonce également ce qu’elle perçoit comme une confiscation du droit des composantes universitaires à participer à la prise de décision, une remise en cause profonde de l’unité de l’enseignement supérieur, une tentative d’abandon du principe de gratuité, une promotion déguisée de la privatisation, un affaiblissement délibéré du rôle de l’université publique, une atteinte à la souveraineté nationale en matière éducative et un recul sur plusieurs acquis, dont l’accord du 20 octobre 2022 conclu entre le gouvernement et le Syndicat national de l’enseignement supérieur.

Le bureau national du syndicat dénonce en outre la mise en œuvre unilatérale du cahier des charges pédagogiques national, élaboré, selon lui, «en dehors des cadres légaux et sans la concertation des enseignants». En conséquence, il annonce le maintien de ses réunions en session permanente, compte tenu de la gravité de la situation, et prévoit l’organisation d’une conférence de presse pour alerter l’opinion universitaire et nationale sur ces questions.

Enfin, le bureau appelle la Commission administrative à se réunir d’urgence le dimanche 14 septembre 2025 afin d’élaborer un plan d’action visant à suspendre la procédure législative du projet de loi et à exiger son retour sur la table des négociations avec le Syndicat national de l’enseignement supérieur, et ce dans le double objectif de préserver la paix sociale et de garantir le fonctionnement normal du service public universitaire.

Les enseignants progressistes affichent leur colère

Il convient de rappeler que le courant des enseignants-chercheurs progressistes, affilié audit syndicat, n’a pas attendu la réunion du vendredi dernier pour se prononcer contre le texte de loi. Dès lundi 25 août, et avant même la présentation du texte au Conseil du gouvernement, il a publié un communiqué virulent dénonçant le contenu du projet de loi. Dans son communiqué, le courant des enseignants-chercheurs progressistes qualifiait le projet de loi de texte qui «transforme l’université en un espace administratif subordonné au ministère et porte un coup dur aux structures élues». Selon ce collectif, le projet de loi 59.24 «ne constitue pas une réforme, mais une régression démocratique et une attaque frontale contre l’université publique», estimant qu’il «vide la loi 01.00 – malgré ses limites – de son esprit réformateur, et réduit l’autonomie des institutions universitaires».

Le communiqué souligne par ailleurs que ce texte affaiblit gravement les structures représentatives élues (conseils d’université, conseils des établissements, filières, laboratoires de recherche), les réduisant à de simples instances formelles dépourvues de pouvoir réel. Ces prérogatives seraient désormais transférées à l’administration, à travers un «conseil d’administration» que le courant assimile à une sorte de «conseil de tutelle et de contrôle».

Privatisation déguisée et marchandisation du savoir

Les enseignants-chercheurs progressistes vont plus loin en affirmant que le projet de loi 59.24 constitue «une trahison envers l’université publique» et «une atteinte à l’autonomie de l’enseignant-chercheur». Selon eux, il s’inscrit dans «un plan de privatisation déguisée de l’enseignement supérieur», visant à transformer le savoir en marchandise, l’enseignant en simple exécutant technique et l’étudiant en client.

Parallèlement, le bureau national du Syndicat national des fonctionnaires de l’enseignement supérieur et des cités universitaires, affilié à la Confédération démocratique du travail (CDT), hausse également le ton et annonce une série de grèves et de sit-in. Le syndicat dénonce une «politique de marginalisation et de refus du dialogue» menée par le ministère de tutelle.

Le programme de mobilisation est déjà fixé : Il s’agira d’une grève nationale de 48 heures les 2 et 3 septembre 2025, suivie d’une grève nationale de 72 heures les 9, 10 et 11 septembre, avec un sit-in devant le ministère de l’Enseignement supérieur le 10 septembre et enfin une nouvelle grève de 72 heures les 17, 18 et 19 septembre. Et pour couronner le tout, une grève nationale de 72 heures est prévue les 30 septembre, 1er et 2 octobre, accompagnée d’un sit-in devant le ministère de l’Économie et des finances le 1er octobre.

Les motifs d’une escalade sociale

Le syndicat justifie cette intensification de la contestation par plusieurs facteurs : le refus persistant du ministre d’ouvrir un dialogue sérieux avec le syndicat le plus représentatif, mais aussi le retard répété dans la finalisation du statut des fonctionnaires du secteur, pourtant promis depuis janvier dernier. Il déplore par ailleurs le fait que le projet de loi ait été transmis au Conseil du gouvernement puis adopté «en plein été, sans concertation avec le syndicat le plus représentatif, en contradiction avec les promesses du ministère». Le bureau national pointe également du doigt le déficit criant en ressources humaines et le recours, sur instruction ministérielle, à des étudiants et à des travailleurs sous-traitants pour effectuer des tâches administratives, jugées «illégales», visant à briser les mouvements de grève.

Au vu de la multiplication des voix critiques et de l’escalade syndicale déjà annoncée, le projet de loi 59.24 semble loin de faire consensus. Ce texte, censé tracer une nouvelle voie pour l’université marocaine, risque au contraire d’ouvrir une période de fortes turbulences dans le secteur. À l’approche de la rentrée universitaire, le bras de fer s’annonce déterminant : d’un côté, un ministère pressé de faire passer sa réforme, de l’autre, une communauté universitaire qui revendique son droit à être pleinement associée aux décisions qui engagent l’avenir de l’enseignement supérieur public au Maroc.