France

« Des liens qui peuvent être aussi puissants que la famille »… Quelle place les amitiés ont-elles dans la société ?

Et si l’amitié, trop souvent reléguée au second plan, devenait le cœur battant d’un projet de société ? C’est le pari du festival Nos puissantes amitiés, organisé ce samedi à Lyon. Inspiré du dernier ouvrage éponyme d’Alice Raybaud, l’événement, inédit dans la région, entend célébrer et questionner la place que nous accordons – ou non – à nos liens amicaux.

Porté par Scène 27, en collaboration avec la Maison de l’écologie, le Théâtre du bruit, et l’Université populaire de Lyon, ce projet est né d’une envie simple : « faire réfléchir les citoyens et citoyennes sur la valeur de l’amitié », explique Max Prothery, coordinateur de l’événement. « On a trois objectifs : rassembler les Lyonnais et Lyonnaises dans leur diversité, les faire se rencontrer… et bien sûr, proposer un temps festif pour célébrer nos amitiés. »

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Car, pour le directeur de Scène 27, il était temps de donner un espace spécifique à ces relations trop souvent « sous-cotées ». « En France, on a des fêtes d’anniversaire, des mariages, mais aucune cérémonie n’existe pour nos amitiés. En créant cette possibilité avec le festival, on rend hommage à des liens qui peuvent être aussi puissants que la famille, voire plus, lorsque cette dernière est dysfonctionnelle », insiste-t-il. Durant le festival, un stand permettra même aux participant.es de se marier entre ami.es, « officialisant » ainsi l’importance de ces liens.

L’amitié, un lien « anticapitaliste »

Au-delà de l’aspect festif, l’événement veut aussi ouvrir des espaces de débats. Car, comme le rappelle Sam, membre de la Maison de l’écologie, l’amitié, omniprésente dans nos vies intimes, reste « invisible aux yeux des institutions » et n’a qu’une place marginale dans la société. « C’est injuste de constater qu’en cas de décès d’une amie, aucun congé n’est prévu, développe-t-il. Ou qu’on ne puisse pas faire valoir une mutation pour suivre un ami, alors que c’est possible pour son conjoint. »

Cette invisibilité ne se limite pas au droit. Elle existe aussi dans nos représentations culturelles. Comme le rappelle Alice Raybaud dans son ouvrage, « dans les films, les livres, les imaginaires et les récits que l’on fait de nos parcours, l’amitié passe presque toujours à l’arrière-plan : la jeunesse terminée, elle devrait s’éclipser au profit du couple et de la famille ».

Pourquoi une telle mise à l’écart ? « Parce que l’amitié n’est pas productive, elle ne sert à personne, indique Sam, citant encore la journaliste. Elle est la forme la plus anticapitaliste de toutes les relations qu’on peut avoir. »

Cette dévalorisation est liée à l’histoire récente de la famille nucléaire, qui s’est imposée comme norme sociale. « Ce modèle – un père, une mère, deux enfants, chacun son pavillon, sa voiture – a à peine deux siècles et est profondément capitaliste, insiste-t-il. Il a mis l’accent sur l’individualisme et la consommation. Mais aujourd’hui, il bat de l’aile : la conjoncture économique rend difficile de fonder une famille et d’investir comme avant. Donc, on va vers des formes plus collectives, comme la colocation. »

L’amitié, un lien « choisi »

Dans ce contexte précaire, le modèle « idéal » s’est transformé en « source d’angoisse pour beaucoup », poursuit Sam. « Les jeunes générations cherchent d’autres modes de vie, car les injonctions – fonder une famille et investir dans l’immobilier – pèsent lourd si on n’y répond pas. L’amitié, elle, offre d’autres possibles. »

Et parce qu’elle est « choisie », contrairement à la famille, elle peut devenir une « vraie structure de vie ». « Elle permet de se recomposer des familles quand la famille biologique est absente ou problématique. Ce sont des relations émancipatrices, qui peuvent sauver des personnes, notamment dans une société où on est très déterminé par le capital social et culturel de nos parents. »

C’est pourquoi, ces derniers temps, « on parle de plus en plus de l’amitié ». « C’est l’illustration du rejet de la société de consommation et de ce mythe traditionnel d’une famille éternelle qui serait l’alpha et l’oméga de la vie », assure Sam.

L’amitié, un lien « politique »

Loin d’être une simple affaire intime, l’amitié a aussi une portée politique. Dans les luttes féministes, écologistes, LGBT ou pour les droits des personnes migrantes, « nos liens amicaux sont ce qui nous permet de tenir », lance Sam. Et d’ajouter : « Ils nous donnent l’énergie de nous battre mais nous offrent également du soutien inconditionnel, sans attente, sans dette, sans hiérarchie, encore une fois, contrairement à d’autres relations. En ce sens, l’amitié est une forme de solidarité. »

Et d’insister : « Il ne s’agit pas d’opposer l’amitié au couple ou à la famille, mais de reconnaître que ces liens peuvent coexister et s’enrichir mutuellement, au lieu de hiérarchiser systématiquement l’un par rapport à l’autre. » Il est donc primordial de valoriser les amitiés. « C’est choisir une société dans laquelle on peut s’apporter mutuellement, où il n’y aurait pas de normes auxquelles il faut correspondre », affirme Sam.

Notre dossier sur l’amitié

Et c’est ce que mettra en avant le festival Nos puissantes amitiés à Lyon, samedi. « Si les gens passent des bons moments, qu’ils ressortent en ayant appris des choses, en ayant été inspirés, c’est merveilleux. Et s’ils peuvent nouer de nouvelles amitiés ou renforcer celles qui existent déjà, on aura tout gagné », conclut Max Prothery.