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« Une fermeture demandée, c’est une première »… Pourquoi la prison pour mineurs à Marseille est en sursis ?

Des conditions « gravissimes » d’incarcération. Dans un avis publié vendredi, la contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), Dominique Simonnot, a préconisé la « fermeture, au moins partielle » de l’établissement pénitentiaire pour mineurs (EPM) de Marseille-La Valentine, inspecté du 7 au 11 juillet dernier.

De « nombreux dysfonctionnements entraînant des atteintes graves aux droits des adolescents détenus », ont été constatés dans cette prison, précise l’avis qui plaide pour la mise en place de « mesures urgentes » dans ses préconisations transmises au ministère de la Justice fin juillet.

Pour Vincent Fritsch, élu national du syndicat SNPES-PJJ-FSU, syndicat majoritaire dans la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), et éducateur dans le Vaucluse, cette alerte est « un événement particulièrement important ». « Qu’une fermeture soit demandée, c’est la première fois que ça arrive », souligne-t-il auprès de 20 Minutes, après plusieurs

Une alternative aux quartiers pour mineurs

L’EPM de Marseille compte 59 places, exclusivement réservées aux garçons âgés de 13 à 18 ans. Ces établissements, créés par la loi Perben en 2002 avec les centres éducatifs fermés (CEF), sont définis comme des « structures pénitentiaires » combinant « mesures de sécurité et actions éducatives ». Les équipes intervenant en EPM se composent normalement de surveillants pénitentiaires, d’éducateurs de la PJJ, d’enseignants de l’Éducation nationale et de personnels de santé. Six EPM répartis sur le territoire ont ouvert en 2007, censés proposer une alternative aux quartiers pour mineurs des prisons.

Sauf que cela ne fonctionne pas, martèle le SNPES-PJJ-FSU, qui pointe une augmentation des incarcérations. « On a toujours dénoncé la création de ces établissements : il n’est pas possible de mettre des éducateurs à temps plein dans une prison, car ça reste une prison », assure-t-il. Avec toutes les contraintes liées au milieu carcéral. « Un jeune quand il sort de sa cellule, il doit y avoir un surveillant qui l’accompagne partout, jusqu’à une classe, une activité, une rencontre avec son éducateur… », explique Vincent Fritsch.

Absentéisme et personnel à bout

Or dans cet EPM situé dans les Bouches-du-Rhône, le manque de personnel est criant. « Pour l’année 2024, la direction interrégionale des services pénitentiaires de Marseille évoque un taux d’absentéisme de 42,6 % », selon l’Observatoire internationale des prisons (OIP). Selon la même source, « chaque agent cumulait en moyenne 112 jours d’absence par an, pour congé maladie ou arrêt de travail, en 2023, et 81 l’année précédente ».

Des absences qui entraînent le « surenfermement » et la privation de scolarité, pointent la CGLPL et l’OIP. Lors de visites de députés organisés en mars, l’association a constaté des journées avec seulement trois, voire un seul surveillant présent, pour 54 mineurs répartis dans sept unités de vie. Les « enfants sont laissés à l’abandon, enfermés 23 heures sur 24 heures. Il n’y a plus de prof, il n’y a plus de surveillants, il n’y a plus rien », s’indigne notamment Dominique Simonnot.

De son côté, la CGT Pénitentiaire des Bouches-du-Rhône dénonçait début juillet une « gestion désastreuse de l’établissement ». « Les personnels sont en souffrance, et cela n’étonnera personne tant les conditions de travail se sont dégradées », déplorait le syndicat dans un tract. Pression constante, manque de reconnaissance, violence quotidienne, « flicage »… Le syndicat pointe des personnels « à bout ». « La responsabilité première d’un chef d’établissement est d’assurer la sécurité et la santé de ses agents. À ce jour, cet impératif fondamental est ouvertement ignoré », poursuit le tract.

Situation « délétère »

Un climat social dégradé qui s’ajoute aux difficultés matérielles. « La détention reste un choc psychologique, expose Vincent Fritsch. Etre enfermé tout le temps, dans un environnement violent, avec des rapports de force, et des conditions indignes… Ça devient délétère et les enfants sortent de l’incarcération dans un état pire qu’à leur arrivée ». D’autant plus à Marseille, où l’emprise des trafics de drogue sur les mineurs est un phénomène en pleine expansion.

Dans son avis, la contrôleure donne en effet des exemples attentatoires à la dignité des mineurs incarcérés : murs des cellules « sont partout couverts de graffiti, dont la couleur et la texture évoquent parfois de la matière fécale ou du sang », matelas en mauvais état, salles d’eau sans portes, pas de distribution de produits d’hygiène, usage du téléphone fixe à un coût « prohibitif », interdiction d’avoir des rideaux « malgré la canicule », repas pas assez rassasiants…

Dans sa réponse, le ministre Gérald Darmanin assure que des travaux ont été effectués entre 2024 et 2025 mais que « les fortes dégradations » sont « commises par la population pénale mineure ». « Une à deux unités » de la prison seront fermées en septembre pour « la réfection progressive des cellules », poursuit-il.

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Un coup de pinceau ne changera rien pour le syndicat SNPES-PJJ-FSU, qui plaide pour la fermeture de l’établissement, au moins partielle. « Ça ne répond plus à accueil tel qu’il devrait être dans les textes en matière de dignité, appuie Vincent Fritsch. Ce qui obligera les magistrats à trouver des solutions alternatives à l’incarcération ». Le syndicat souhaite une audience auprès du ministère de la Justice pour demander plus de moyens pour les éducateurs en milieu ouvert et la construction de foyers éducatifs supplémentaires dans le département.