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UTMB 2025 : « Tu te sens 1.000 fois plus costaud avec »… Pourquoi les bâtons sont devenus un enjeu majeur en ultra-trail

Ils seront 2.500 coureurs à s’élancer de Chamonix ce vendredi (17h45) sur l’UTMB 2025 pour 174 km et 9.900 m de dénivelé positif autour du Mont-Blanc. Qu’ils fassent partie des top élites visant la victoire finale en une vingtaine d’heures ou qu’ils soient des amateurs rêvant « juste » de boucler l’aventure d’une vie avant la barrière horaire de 46h45, leur paire de bâtons va être l’un des soutiens les plus précieux pour l’immense majorité d’entre eux. Mais à quel point l’usage de bâtons fait-il partie de la plus prestigieuse course d’ultra-trail au monde depuis 22 éditions, contrairement à d’autres formats 100 miles ?

Les organisateurs sont formels : les coureurs ont toujours pu avoir des bâtons sur l’UTMB. « Ça s’est fait de manière un peu implicite au début, raconte Baptiste Lassenssion, chef de projet et responsable technique pour l’UTMB Mont-Blanc. Puis un point de règlement a vite été précisé pour garantir l’équité : le coureur partant avec des bâtons est obligé de les garder jusqu’à l’arrivée, et il n’a jamais été possible d’en récupérer en cours de route. »

Kilian Jornet se passait de bâtons à ses débuts

Embarquer avec soi des bâtons, ce qui fait aujourd’hui partie du matériel « recommandé » par l’organisation de la course, est donc « un choix stratégique » à assumer sur l’intégralité de l’Ultra-Trail du Mont-Blanc. « Dès le début de l’UTMB, on avait davantage affaire à des montagnards qu’à des coureurs à pied, observe Julien Chorier, ex-athlète élite Hoka et désormais directeur sportif au sein d’UTMB Group. Les participants prenaient des bâtons parce qu’ils partaient pour deux jours en montagne, comme quand ils se lançaient sur de grandes randonnées. »

Ça n’a pas empêché l’Italien Marco Olmo de remporter deux sacres de rang sans bâtons (en 2006 et 2007), tout comme l’icône du trail Kilian Jornet pour ses premiers succès à Chamonix (en 2008 et 2009), ou encore l’Américaine Rory Bosio, titrée en 2013 et 2014.

Sylvaine Cussot est ici en pleine ascension sur la Diagonale des Fous à La Réunion. Le tout évidemment sans l'aide de bâtons.
Sylvaine Cussot est ici en pleine ascension sur la Diagonale des Fous à La Réunion. Le tout évidemment sans l’aide de bâtons. - Teten Prod

Avant tout « une charge mentale » ?

« Chez beaucoup d’athlètes américains, la culture du bâton existe très peu parce que la majorité des courses aux Etats-Unis sont plus roulantes, précise Julien Chorier. Même Jim Walmsley a dû apprendre à s’entraîner avec des bâtons après s’en être passé pour sa première participation à l’UTMB. » Sylvaine « Sissi » Cussot (43 ans) a beau ne pas avoir grandi dans le Colorado mais dans la Sarthe, elle n’a jamais succombé à cette forte tendance dans le trail long.

« Je viens de l’athlétisme, de la course sur route. J’ai toujours cherché à aller courir en m’encombrant le moins possible. Et puis je trouve qu’on a déjà beaucoup de choses à penser, entre la lampe frontale, la montre et le balisage. Je crains que la gestion des bâtons soit avant tout une charge mentale pour moi. »

Inscrite ce vendredi à Chamonix sur la CCC (101 km), « Sissi » Cussot sait que son choix se révèle chaque année payant sur la Diagonale des Fous à La Réunion, où elle vit depuis quatre ans. Elle reste ainsi sur quatre Top 10 consécutifs sur ce mythique Grand Raid (175 km et 10.500 m de D +), qui interdit strictement l’usage des bâtons.

Le Grand Raid a redouté des accidents liés aux bâtons

Un autre 100 miles faisant partie des quatre Majors du circuit, la Western States en Californie, en a décidé de même, tout comme le Mt. Fuji 100 au Japon ou encore le Dodo Trail sur l’Ile Maurice. Davantage que la préservation de « sentiers parfois fragiles » à La Réunion, la Diagonale des Fous met en avant la dimension « sécuritaire » pour justifier ce choix mentionné dans son règlement. Président de l’agence Ilop, en charge de la communication du Grand Raid, Stéphane André explique : « Il avait failli y avoir des accidents très graves impliquant certains coureurs ayant des bâtons sur une édition et le co-organisateur Robert Chicaud avait décidé d’interdire ces bâtons dès la fin des années 1990. »

Sylvaine Cussot confie avoir subi le mois dernier des incidents liés à l’usage des bâtons sur le Restonica Trail, course de 60 km en Corse. « Tout le monde a d’emblée sorti ses bâtons, raconte-t-elle. Sans faire attention aux autres concurrents, ça envoyait des coups de bâtons à tout-va dans les pieds et les visages, c’était franchement dangereux. » L’UTMB explique « sensibiliser les participants » et « les encourager à ranger dans le sac leurs bâtons lorsqu’il y a un peloton de coureurs, surtout en début de course ».

Un gain de plus d’une heure sur un UTMB ?

Alexandre Boucheix (33 ans), plus connu sous le pseudo de « Casquette verte », a tenté de se passer de bâtons à ses débuts dans l’ultra. « Culturellement parlant, je suis team sans bâtons. Ma position était celle-ci : c’était selon moi de la triche mécanique de pouvoir avoir recours à une aide qui accroît énormément nos capacités. Et puis j’ai été rattrapé par la patrouille de la compétitivité… »

Alexandre Boucheix, alias « Casquette verte », ici lors de l'édition 2024 de l'UTMB, a bouclé cette semaine la TDS (148 km et 9.300 m de D+), l'une des autres courses de l'UTMB Mont-Blanc.
Alexandre Boucheix, alias « Casquette verte », ici lors de l’édition 2024 de l’UTMB, a bouclé cette semaine la TDS (148 km et 9.300 m de D+), l’une des autres courses de l’UTMB Mont-Blanc.  - UTMB

Au vu des progrès réalisés par les équipementiers quant aux poids et aux systèmes de rangement adaptés aux bâtons, on peut compter sur les doigts d’une main les coureurs du Top 20 de l’UTMB depuis une dizaine d’années qui continuent de se passer de cette aide précieuse. Même les traileurs habitués aux distances bien plus courtes (à partir de 30 km) y ont de plus en plus recours.

« Entre mon UTMB 2021 et celui de 2022, la bascule de 26h42 à 22h55 est en grande partie due à l’apport des bâtons. Honnêtement, il y a automatiquement entre 1 heure et 1h30 de différence si je fais une telle course avec ou sans bâtons. Avec, tu te sens 1.000 fois plus costaud, tu esquives des passages de cailloux, tu économises de ouf tes cuisses. Ça te permet donc de courir plus loin/plus tard dans une course. Franchement, il y a des épreuves où j’aurais sans doute dû abandonner si je n’avais pas eu cette aide. »

Julien Chorier complète : « Musculairement, ce n’est pas le même effort de chercher à trottiner partout ou de faire des grandes enjambées avec l’aide des bâtons. Mais ça pousse à aussi travailler le haut du corps. Il faut s’adapter à ce travail spécifique. » Même Sylvaine Cussot, ravie de s’entraîner toute l’année sans bâtons dans le cirque de Mafate, ne nie pas l’évidence.

« Comme les changements de surface au tennis »

« Les bâtons restent un réel avantage quand on sait bien s’en servir, reconnaît-elle. Ils soulagent les quadriceps et les ischios lorsqu’on est musculairement entamés. Et puis c’est comme deux pieds en plus, ça permet de meilleurs maintiens dans des descentes difficiles. Mais quand tu t’habitues à courir avec des bâtons et que tu dois subitement faire sans car la course que tu vises les interdit, tu imposes une charge à tes muscles que ton corps ne sait plus encaisser. »

A chaque traileur élite d’organiser sa saison à sa guise selon qu’il souhaite davantage se tourner vers le duo Hardrock-UTMB ou vers la « plus roulante » Western States et la Diagonale des Fous, prévues donc pour « la team sans bâtons ». « Quelque part, c’est comme les changements de surface au tennis, sourit Stéphane André. Je trouve ça bien qu’il n’y ait pas une uniformisation des courses de trail. Ça reste une discipline avec des ancrages locaux forts. »

Ainsi que des problématiques environnementales de plus en plus exposées, surtout pour un événement comme l’UTMB Mont-Blanc, critiqué pour réunir près de 10.000 coureurs venus du monde entier sur ses différentes courses de la semaine. En ce sens, l’utilisation massive des bâtons n’entraîne-t-elle pas une usure significative des sentiers alpestres ?

« Avec ou sans bâtons, les meilleurs gagnent »

« On se positionne toujours en faveur de l’environnement et de la préservation des sentiers, insiste Baptiste Lassenssion. On a identifié avec le conservatoire d’espaces naturels de Haute-Savoie Asters des secteurs sensibles. » Autour de ces « zones humides », situées sur toute la montée au Grand Col Ferret et sur une portion avant le Col du Bonhomme, « une signalétique spéciale a été posée depuis une dizaine d’années pour interdire l’utilisation des bâtons ».

Ceux qui passent outre cette règle risquent chaque année de subir des pénalités de temps sur l’UTMB, qui tient par son ouverture aux bâtons à « faire entrer le grand public dans le monde du trail et de l’ultra ». « On n’est pas du tout en quête du nombre de finishers le plus bas possible, résume Julien Chorier. L’objectif, c’est que l’UTMB soit un beau défi sportif. On ne cherche pas à mettre des contraintes aux coureurs autres que la barrière horaire de 46h45. Après, la fin de l’autorisation des bâtons viendra peut-être un jour si on nous dit que leur impact environnemental sur les sentiers est trop important. »

Notre dossier sur l’UTMB

En attendant, Stéphane André tient à relativiser le lien entre cette autorisation ou non des bâtons et la hiérarchie sur le circuit mondial d’ultra-trail. « Avec ou sans bâtons, ce sont les meilleurs qui gagnent, glisse-t-il. Ces dernières années sur le Grand Raid, il y a toujours plus de Métropolitains que de Réunionnais dans le Top 20, bien qu’on se prépare toute l’année ici sur nos sentiers et sans bâtons. » Sylvaine Cussot espère démontrer ce vendredi dans les Alpes que l’inverse est également possible.