Le Maghreb face à Trump : Dans l’œil trumpien, Tunis ne pèse plus et parle trop.

En matière de relations avec les pays d’Afrique du Nord comme dans bien d’autres domaines, le président américain ne fait pas de concessions. Il tranche, en fonction de trois critères : loyauté, utilité, business. Qui gagne, qui perd, dans cette dynamique brutale ?
LE MAGHREB FACE À TRUMP (1/4) – Donald Trump n’a pas de politique maghrébine : il a un système de classement. Le royaume du Maroc , loyal, aligné et rentable, est promu. L’ Algérie , rigide mais sécuritairement exploitable, est contenue. La Tunisie , instable et réfractaire, est écartée.
Les accords d’Abraham deviennent le mètre étalon d’une diplomatie qui ne cherche ni équilibre régional ni influence structurante, mais qui maximise les gains à court terme.
Une grille de lecture fondée sur la sélection de partenaires « fiables » et l’activation d’intérêts convergents, dans la pure tradition transactionnelle de la Heritage Foundation, matrice idéologique de la droite trumpienne. Une logique de bilatéralisation brutale, où l’unité maghrébine est une variable négligeable.
Le fait que la Libye soit réduite, quant à elle, à un terrain de deals ponctuels en est la preuve : Trump y soutient sans détours le camp qui protège ses intérêts.
Rabat, l’allié surinvesti
Dans cette hiérarchie liée aux opportunités, le Maroc coche toutes les cases. Pays stable, atlantiste, allié historique des États-Unis, engagé dans la normalisation avec Israël, il s’affiche comme une porte d’entrée en Afrique, un appui potentiel au Sahel , et partage à la fois la ligne anti-Iran et de solides relations avec les monarchies du Golfe.
Le 30 juillet dernier, à l’occasion de la fête du Trône , Donald Trump adresse un message au roi Mohammed VI dans lequel il réaffirme la reconnaissance américaine de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, entérinée en 2020. Un geste qui confirme la constance d’un président pourtant réputé pour son imprévisibilité.
Dans la foulée, son administration autorise les investissements américains dans les provinces du Sud, gelés sous Biden. Un passage à l’acte qui ancre la reconnaissance dans le réel.
Une note de la Heritage Foundation, signée par le chercheur Amine Ghoulidi, présente le Maroc comme un pivot stratégique face à l’influence sino-russe en Afrique. Le think tank va jusqu’à recommander le transfert du siège d’ Africom de Stuttgart à Rabat.
Ce traitement préférentiel se lit aussi dans les droits de douane supplémentaires : 10 % pour le Maroc, contre 25 % pour la Tunisie et 30 % pour l’Algérie. Rabat est récompensé, mais sommé d’amplifier son rôle : coopération sécuritaire, leadership diplomatique, projection continentale.
Et Trump reste Trump : son entourage aurait envisagé, en pleine guerre à Gaza , de transférer des Palestiniens déplacés vers des pays tiers, dont le Maroc. Hypothèse relayée par NBC News, jamais commentée par Rabat, mais révélatrice du fait que même les alliés de Trump peuvent être mis à l’épreuve par ses sorties hors cadre.
Alger et Tunis : tolérance pragmatique et relégation assumée
Avec Alger, Donald Trump adopte une forme de tolérance stratégique. Il sait que la normalisation est hors de portée : l’Algérie la conditionne à la reconnaissance d’un État palestinien, ligne jugée irréaliste par les Américains. Mais le régime conserve une valeur « d’usage ».
En perte d’influence politique au Sahel, Alger dispose encore d’un système de renseignement robuste, jugé indispensable pour surveiller et contenir les activités des supplétifs russes de l’ Africa Corps au Mali. Aussi, en janvier dernier, un mémorandum est signé avec Africom pour renforcer le partage d’informations, et lorsque Massad Boulos, conseiller spécial Afrique de Trump, réaffirme dans le quotidien El Watan la position américaine sur le Sahara, Alger choisit le silence. Une prudence assumée. Abdelmadjid Tebboune veut éviter tout clash frontal avec l’administration Trump.
La Tunisie, elle, cumule les facteurs disqualifiants : pas d’alignement stratégique, peu de levier sécuritaire, et une rhétorique de rupture. Elle refuse toute normalisation, affiche un rapprochement avec l’Iran, et Kaïs Saïed adopte une posture de défi affiché. Le 22 juillet, face à Massad Boulos, en visite officielle à Tunis , il exhibe des images de Gaza et dénonce la « désintégration de la légitimité internationale ».
L’émissaire américain, resté impassible, évoque une « propagande déplaisante », sans donner suite. Washington n’a pas rompu le dialogue, mais le ton est donné : suspension de plusieurs aides, dont l’Usaid, hausse des droits de douane de 28 % – revue à la baisse, à 25 % – et absence de perspectives. Dans l’œil trumpien, Tunis ne pèse plus et parle trop.
Source : Jeune Afrique , Par Nina Kozlowski
