France

L’ambassadeur Kushner qui assimile antisionisme et antisémitisme, pourquoi c’est « un amalgame néfaste »

Dans une lettre adressée ces derniers jours au chef de l’Etat Emmanuel Macron, l’ambassadeur des Etats-Unis en France, Charles Kushner, lui a abruptement reproché une forme de laxisme dans sa lutte contre l’antisémitisme. Il écrit notamment : « aujourd’hui, ce n’est plus possible de tergiverser : l’antisionisme, c’est l’antisémitisme, point ». Peut-on vraiment mettre un signe d’égalité entre les deux notions ?

« C’est trop rapide et trop généralisant », réagit Martine Cohen, sociologue au sein du groupe Sociétés, Religions, Laïcités du CNRS. Refuser l’attachement à l’existence d’un Etat pour les juifs en tant que peuple, soit le premier niveau d’une définition du sionisme, « indirectement cela mène à une négation du fait juif qui n’est pas que religieux mais aussi politique et culturel mais ce n’est pas directement de l’antisémitisme en tant que tel, on ne peut pas tout mettre dans le même panier, précise-t-elle. De même qu’affirmer qu’Israël mène une politique condamnable, ce n’est pas de l’antisémitisme en tant que tel. »

Un antisionisme parmi les juifs dans l’histoire

L’idée de créer un Etat pour le peuple juif n’a pas été la seule réponse à l’antisémitisme à la fin du XIXe siècle. Avant la création de l’Etat d’Israël en 1948, le Bund, organisation sociale-démocrate des ouvriers juifs, a par exemple défendu le droit à une autonomie culturelle des juifs là où ils vivaient, dans la perspective d’une révolution mondiale. « Leurs membres refusaient l’idée d’Etat, jugée bourgeoise », précise Martine Cohen.

L’idée d’un asile pour le peuple juif devient une urgence notamment après les pogroms (massacres de juifs) dans l’empire tsariste, mais il ne parle pas d’une seule voix. « Les juifs de France n’étaient pas anti sionistes mais contre le sionisme car ils craignaient que la création d’une patrie pour les juifs remette en question leur propre intégration en France, relate la sociologue. »

De la même façon, dans toute l’Europe, une partie des Juifs issue de la diaspora « était contre le sionisme a priori car ils craignent d’être mis en cause dans leurs propres appartenances citoyennes », ajoute-t-elle. Depuis la création d’Israël, les antisionistes, parmi lesquels on compte les membres de l’union des juifs français pour la paix, sont très minoritaires. Certains Ultra-Orthodoxes sont aussi antisionistes, même s’ils sont également peu nombreux.

Un débat sur la définition du sionisme en Israël

L’antisionisme peut être associé à la critique de la politique israélienne. « Ne voir que les continuités de « l’Etat colonial » c’est une erreur de méthode historique. C’est ne pas voir la diversité des formules sionistes proposées et la diversité aujourd’hui des débats en Israël sur ce qu’est le sionisme », estime Martine Cohen. Ces débats existent depuis l’occupation des territoires en 1967 et font rage encore aujourd’hui.

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« En tant qu’idéologie, le sionisme revient à soutenir l’existence de l’Etat Israël », selon Pierre Yves Camus, directeur de l’observatoire des radicalités politiques à l’observatoire Jean Jaurès. Mais en Israël, si certains défendent l’idée selon laquelle la création d’un Etat est suffisante, d’autres pensent que le « vrai sionisme », consiste à continuer à occuper des territoires qu’ils appellent « la Judée Samarie » (colonies israéliennes en Cisjordanie).

Pour Martine Cohen, l’amalgame entre antisionisme et antisémitisme est dangereux. « Si on veut critiquer une partie des antisionistes, il faut les critiquer sur le fond, sur les raisons pour lesquelles ils mettent en cause l’existence d’Israël, pas sur l’adjectif antisioniste. C’est une erreur de stratégie de contre-attaque, néfaste aussi pour les juifs eux-mêmes. »