Un père de famille de 58 ans percuté par un cheval à Aïn Diab, aujourd’hui tétraplégique

Le 23 mai dernier, un vendredi de printemps. La lumière déclinait sur la plage d’Aïn Diab à Casablanca et, comme tant d’autres familles, un homme de 58 ans voulait simplement profiter du coucher de soleil. La mer est à deux pas de chez lui. Il propose à son épouse et à leur fils de onze ans de descendre voir la lumière dorée, de figer l’instant en photo. « Je voulais juste prendre ma famille en photo au bord de l’eau », confie-t-il aujourd’hui, plus de trois mois plus tard, depuis son lit d’hôpital à Le Matin.
Ils traversent la route et s’avancent vers la bande de sable humide. La mer est calme en ce soir de mai, presque immobile sous la lumière tombante. À peine ont-ils posé le pied sur le rivage que son épouse se crispe, apercevant deux chevaux lancés à vive allure qui zigzaguent dangereusement entre les estivants. « Ils vont finir par taper quelqu’un », prévient-elle. Ces montures ne relèvent d’aucun club équestre, souligne la victime. Ce sont des chevaux de location sauvage, confiés à des cavaliers improvisés qui s’amusent à foncer vers les promeneurs avant de bifurquer au dernier instant.
Le père de famille place ses enfants près de l’eau et lève son téléphone. La seconde suivante, sa vie bascule. « Un cheval lancé à toute vitesse par l’arrière m’a sauté dessus, m’a projeté sur le sable et a laissé les traces de ses sabots sur mon dos et mes épaules avant que je ne me réveille trois jours plus tard. »
Quand il ouvre les yeux, il ne sent plus rien. « Rien ne bougeait. Ni mes doigts, ni mes mains, ni mes jambes. » Son fils a tout vu, tentant de le ramener à lui : Papa, dis quelque chose. « C’est insoutenable pour un enfant de voir son père ainsi », murmure-t-il.
Le constat médical est terrible. Rédigé à la clinique Longchamps, il évoque un traumatisme crânien avec hémorragie méningée, une fracture de la clavicule, une contusion du globe oculaire et, surtout, une atteinte sévère de la moelle cervicale. Le 27 mai, il a dû subir une lourde opération de la colonne cervicale. Les chirurgiens ont pratiqué une minéctomie décompressive entre les vertèbres C3 et C6, une intervention qui consiste à retirer une partie des vertèbres afin de libérer la moelle épinière comprimée par le choc. Depuis, il n’a plus quitté l’hôpital. Sa tétraplégie est complète. « Tous les jours, je fais de la rééducation, tous les jours », dit-il sobrement.
Après l’accident, les deux cavaliers ont été placés quarante-huit heures en garde à vue avant d’être relâchés sous condition. La seule sanction concrète a visé les animaux : la police a informé la famille que les chevaux avaient été saisis et envoyés aux abattoirs. Autrement dit, ces bêtes, qui n’avaient aucun encadrement légal, ont été confisquées et transférées aux abattoirs, où elles risquent d’être abattues selon les circuits de la filière viande, pendant que ceux qui les montaient continuent de circuler libres. Les jours qui ont suivi, les autorités ont promis à la famille qu’une interdiction claire de la présence d’animaux sur les plages serait mise en place, mais rien n’a changé. « Deux semaines après mon accident, on m’a envoyé des photos montrant des chevaux encore sur la plage et j’ai ensuite appris qu’ils s’étaient déplacés vers Anfa Place, une autre plage familiale. »
Ses paroles résonnent comme un cri d’alerte et d’impuissance mêlées. « Hier, ça a déjà tué, aujourd’hui je suis tétraplégique, demain ça tuera encore… Si on laisse des chevaux, alors pourquoi pas des lions et des tigres ? » Derrière cette ironie amère se cache une réalité bien tangible : chaque week-end, la plage d’Aïn Diab voit affluer près de 250.000 personnes qui sont exposées au risque de croiser des chevaux et leurs cavaliers en balade. Il est à noter qu’aucune loi ne régit la présence d’animaux sur les plages. La loi 81-12, adoptée en 2015, interdit la circulation des véhicules et encadre l’usage des engins nautiques, mais demeure silencieuse sur les animaux. Quant aux rares arrêtés municipaux existants, ils sont rarement appliqués.
Ce vide juridique a déjà brisé des vies. Le drame de cet homme ravive d’ailleurs le souvenir de l’affaire Ghita, cette fillette de quatre ans percutée en juin sur la plage de Sidi Rahal par un 4×4 tractant un jet-ski, un drame qui avait bouleversé le pays et enflammé les réseaux sociaux. Deux histoires récentes qui pointent une même réalité, celle de plages livrées au désordre où familles et enfants ne sont pas protégés.
Depuis trois mois, la victime n’a pas remis les pieds sur la plage. Depuis le centre de rééducation Nour à Bouskoura, il s’adresse aux autorités et à l’opinion publique: « Ce n’est pas juste mon histoire… Ce sont des drames qui dureront tant qu’on n’agira pas. » Ses mots valent pour toutes les victimes invisibles de ce silence réglementaire. Reste à savoir combien de vies il faudra briser avant qu’une vraie politique de sécurité des plages ne voie le jour.


