France

Pourquoi les propriétés viticoles peinent-elles à recruter des saisonniers pour les vendanges ?

La difficulté de recruter des saisonniers locaux pour les vendanges, est-elle due à une baisse de la motivation de la jeunesse ? Il y a quelques jours, un post sur les réseaux sociaux, provenant de l’émission « Les Grandes Gueules » de RMC, a allumé la mèche, avec ce passage signé du chroniqueur Charles Consigny : « A une époque où tous les jeunes deviennent décorateurs virtuels sur Instagram, forcément il y a moins de monde pour faire les vendanges. C’est la société que la gauche nous a créée. »

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Une sortie qui a suscité une salve de réactions, pour la plupart indignées. Benoît s’interroge ainsi : « 11 euros de l’heure à 10 heures de route sans logement. Mais pourquoi on ne trouve pas de saisonniers ? » « La Bestiole » enchaîne : « C’est surtout que, avant, les vendangeurs étaient nourris et logés, au minimum ; c’était pas quatre étoiles mais on s’éclatait bien. Aujourd’hui la plupart des annonces sont sans logement ni couvert. »

Salaire au smic et peu voire pas de logement

Qu’en est-il vraiment, niveau rémunération ? Selon Info-Jeunes, le salaire pour les vendanges « est basé sur le smic horaire [11,88 euros brut de l’heure] pour les coupeurs et cueilleurs. » Il est souvent « plus élevé de 15 % pour les porteurs de hotte (pénibilité). » Selon une estimation d’Indeed, le taux horaire moyen pour le poste de vendangeur serait de 12,02 euros brut.

Nous avons par ailleurs épluché bon nombre d’annonces de propriétés viticoles, en vue des vendanges qui démarrent ces jours-ci. La plupart proposent en effet un tarif autour des 12 euros de l’heure. Le logement n’est quasiment jamais compris, mais des « primes d’assiduité » et/ou des « primes panier » peuvent compléter le salaire.

« Plus cela ira, moins on verra d’humains dans les vignobles… »

Face aux difficultés de trouver du personnel, Hugo Chêne, vigneron et propriétaire du Château Marrin (Saint-Emilion), a tranché. « Il y a deux ans, j’ai investi 230.000 euros dans une machine, parce que c’était devenu trop difficile de recruter du monde » explique-t-il. « Il y avait aussi un problème d’état d’esprit, puisqu’il y a eu des bagarres, et j’ai même dû par deux fois faire intervenir la gendarmerie. J’ai donc préféré passer aux vendanges mécaniques pour récolter l’ensemble de mes 16 hectares. »

Environ 72 % du vignoble français serait aujourd’hui récolté à la machine, selon le ministère de l’Agriculture, proportion qui peut atteindre 90 % dans certaines régions. « Il y a encore un côté traditionnel en France qui estime que vendanger à la machine, c’est moins noble, explique Hugo Chêne. Mais les chiffres sont là, et la mécanisation va encore gagner du terrain. Plus cela ira, moins on verra d’humains dans les vignobles. »

« Un profil de gens plutôt nomades, qui vont d’un travail saisonnier à un autre »

Pour Jean-Marie Fabre, vigneron à Fitou, dans l’Aude, et président de la Fédération des vignerons indépendants, « cela fait une quinzaine d’années que la situation du recrutement des saisonniers se tend ». Résultat : « l’année dernière, c’est environ 30 % de la main-d’œuvre saisonnière pour les vendanges en France qui n’a pas été pourvue. »

« Aujourd’hui, je fais une partie de mes vendanges à la machine, poursuit le vigneron, et j’ai dix vendangeurs pour le reste, dont deux salariés permanents. Les autres, ce sont deux personnes de mon village, des retraités qui ont toujours travaillé dans le monde agricole, et le reste est constitué de profils de gens plutôt nomades qui vont d’un travail saisonnier à un autre et qui se logent dans des camions, des camping-cars, ou en tentes. »

Directeur général chez Bordeaux Families, coopérative agricole qui réunit 300 vignerons du Bordelais, Philippe Cazaux reconnaît aussi avoir « de plus en plus de mal à trouver une main-d’œuvre locale, notamment pour les crémants que l’on vendange à la main, ce qui nécessite beaucoup de monde. Pour notre domaine Louis Vallon, on mobilise 400 personnes pour ramasser nos 650 ha ».

C’est pourquoi « nous faisons appel à des prestataires de services qui organisent des équipes de coupe, constituées notamment de main-d’œuvre étrangère, qui venait du sud de l’Europe ou d’Afrique du Nord il y a quelques années, et davantage de l’Europe de l’Est dorénavant. Ces équipes sont ensuite envoyées sur d’autres appellations, ce qui justifie le déplacement. »

« Avec la rentrée universitaire qui se fait plus tôt, c’est toute une main-d’œuvre qui s’est amenuisée »

Comment en est-on arrivé là ? « Il y a 20 ou 30 ans, lorsque les vendanges démarraient fin août, nous pouvions compter sur une population d’étudiants, qui démarraient leur cycle universitaire fin septembre, et pour qui c’était l’occasion de se constituer un petit pécule, explique Jean-Marie Fabre. Aujourd’hui, non seulement les vendanges démarrent plus tôt, lorsque les étudiants sont encore en vacances, mais surtout la rentrée universitaire se fait aussi beaucoup plus tôt. C’est donc toute une main-d’œuvre occasionnelle qui s’est amenuisée en quelques années. »

Autre phénomène : « La société française est de moins en moins tournée vers ces travaux manuels dans les milieux ruraux, c’est vrai dans la viticulture mais cela touche l’ensemble de l’agriculture, poursuit-il. Petit à petit, il y a une transmission qui se perd ».

La question de l’hébergement, qui n’est presque plus proposé, est aussi devenu un sujet. « C’est devenu très compliqué car les normes en la matière ont beaucoup évolué ces dernières années, et cela représente dorénavant beaucoup de charges pour les propriétés, pour seulement deux ou trois semaines de vendanges », poursuit Dominique Furlan. président des crémants de Bordeaux

« Je n’ai pas beaucoup d’argent à proposer, mais je les bichonne »

S’il ne nie pas les conditions de travail qui peuvent être difficiles, Philippe Cazaux veut encore croire que les vendanges « restent de bons moments ». « La plupart des vignerons sont attachés à conserver l’aspect convivial des vendanges, et les propriétés sensibles à cela, celles où l’on apporte les croissants le matin, où l’on sert une entrecôte de temps en temps, attirent plus de monde que les autres, et leur main-d’œuvre revient d’une année sur l’autre », dit-il.

C’est ce que fait Vincent L’Amouller, vigneron près de Blaye (Gironde), qui vendange ses 15 hectares entièrement à la main, sans problème de recrutement « Pour cela, j’ai besoin chaque année d’une petite équipe de douze personnes, que je fais travailler dans une ambiance familiale : on essaie de ne pas faire de trop grosses journées, j’apporte le café, les croissants, des en-cas, l’idée étant de fidéliser au maximum mes saisonniers, notamment les jeunes. Je n’ai pas beaucoup d’argent à leur proposer, je paie au smic, mais j’essaie de les bichonner. »

Notre dossier sur les vendanges

Jean-Marie Fabre souhaiterait de son côté faire perdurer l’état d’esprit de fête autour des vendanges, « comme il existait au temps de mon grand-père ». Mais il remarque que c’est de plus en plus difficile. « C’est la société tout entière qui a changé, analyse-t-il. La plupart des saisonniers sont constamment sur leur téléphone, et pénètrent dans la rangée avec un casque sur les oreilles ou des écouteurs, alors qu’ils travaillent à deux, l’un en face de l’autre ». S’il continue « à proposer un repas de fin de vendanges, qui était autrefois un véritable moment festif », il constate que depuis quelques années, « les gens viennent mais repartent aussi vite. » Et se demande « si cela vaut encore la peine de le maintenir. »