France

« L’espace est devenu stratégique et il faut le défendre »… Comment la France se prépare à la guerre spatiale

Protéger les satellites militaires face aux menaces croissantes dans l’espace. C’est l’objectif du programme « Action et résilience spatiale » (Ares) piloté par la Direction générale de l’armement (DGA).

C’est dans ce cadre que la DGA a notifié, début août, un accord avec la start-up toulousaine Infinite Orbits pour fournir au Commandement de l’Espace « un service d’inspection et de surveillance de l’orbite géostationnaire et le préparer aux opérations d’action dans l’espace », via un satellite dédié. La mise en orbite devrait avoir lieu dès 2027.

Du « patrouilleur-guetteur » Yoda au « satellite-chasseur » Splinter

La stratégie spatiale de la France a été définie dès 2019, et les programmes de surveillance de l’espace à des fins militaires s’enchaînent depuis le début de la guerre en Ukraine, qui a montré que les conflits modernes se jouent aussi dans l’espace, via du brouillage de satellites de communication, ou des actions cyber.

C’est ainsi que le programme Ares s’accélère, et va prochainement lancer plusieurs démonstrateurs, comme le « patrouilleur-guetteur » Yoda, dédié à la surveillance d’objets spatiaux en orbite géostationnaire (36.000 km). Ce programme expérimental sera suivi par le système Egide, sa version opérationnelle, d’ici à 2030.

Pour l’orbite basse, située entre 400 et 1.000 km, le ministère des Armées a confié à la start-up toulousaine U-Space et la société MBDA, leader européen des missiles, une expérimentation intitulée Toutatis, qui sera composée de deux satellites.

Pouvoir pointer « n’importe quelle partie d’un satellite adverse »

20 Minutes avait rencontré en juin dernier lors du Salon du Bourget, Nicolas Lefort, responsable des nouveaux marchés chez MBDA. Il nous avait présenté Splinter, l’un des deux satellites qui fera partie de la démonstration Toutatis, et qui doit être lancé d’ici à fin 2026. « Splinter est un satellite doté d’une propulsion surdimensionnée, de senseurs et d’un effecteur laser pour de l’illumination, ce qui en fait un satellite chasseur, dont le but est de contrer les menaces en orbite basse » explique-t-il.

Maquette du satellite Splinter, un des deux satellites du programme Toutatis.
Maquette du satellite Splinter, un des deux satellites du programme Toutatis. - ©JEREMY LEMPIN

Nicolas Lefort précise que ce laser doit « démontrer que l’on est réactifs et suffisamment précis pour pointer n’importe quelle partie d’un satellite adverse » mais qu’il ne s’agit pas encore « d’un laser de puissance » capable de détruire une cible.

Helix, un réseau de télescopes qui surveille l’espace 7/7 jours

ArianeGroup, connu essentiellement pour la fusée Ariane, avait anticipé il y a dix ans déjà les enjeux liés à la surveillance de l’espace, en créant Helix, un service commercial de surveillance des satellites depuis la Terre, pour des usages civils et militaires. Un programme qui monte en puissance, puisque avec une quarantaine de capteurs répartis tout autour du globe, il est « le plus grand réseau européen de télescopes » assure Hélène Blanchard, responsable des services de sécurité de l’espace chez ArianeGroup. Il doit encore monter à une centaine de capteurs à l’horizon 2030, capables de surveiller l’espace sept jours sur sept.

Quelque 10.000 satellites civils et militaires opèrent tous les jours dans l’espace, un nombre en progression exponentielle, notamment avec les constellations de satellites (Starlink, Kuiper…) qui vont « saturer l’orbite basse », ajoute Hélène Blanchard.

Détecter le « butinage »

L’objectif premier d’Helix est de « cartographier ces satellites », mais aussi les débris spatiaux, pour permettre à ses clients de « connaître la situation dans l’espace avant de bouger leurs propres satellites ». Certains télescopes d’Helix sont aussi capables de « traquer et suivre un satellite », ce qui intéresse particulièrement les militaires, « qui ont besoin de savoir ce qu’il se passe autour de leurs satellites, notamment si d’autres engins sont en approche pour espionner. » Ce que l’on appelle le butinage.

Plusieurs cas avérés de butinage ont été décrits, notamment lorsque le satellite russe Louch-Olymp avait tenté, en 2017, d’espionner le satellite franco-italien Athena-Fidus, servant à des communications militaires sécurisées, avait relaté en 2018 la ministre des armées, Florence Parly.

En complément d’Helix, Sodern, une filiale d’ArianeGroup, équipe les satellites de caméras spatiales permettant de « surveiller si un objet est en approche, et détecter des débris » explique Fabien Robert, responsable commercial de l’entreprise. « Depuis le sol, on voit un point lumineux, quand ces caméras permettent de reconnaître l’objet, avec une photo ou une vidéo, qui peut être prise entre une centaine de mètres et 1.500 km ».

« L’objectif est d’avoir la capacité de neutraliser la menace »

Hélène Blanchard prévient que, dans ces enjeux liés à la sécurité de l’espace, « la partie observation n’est que le début ». « Si une menace arrive, il faudra pouvoir agir, depuis le sol ou depuis l’espace, ce qui passera par des solutions d’illumination laser, en forme d’avertissement, avant une gradation de l’action ».

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Nicolas Lefort, de MBDA, confirme : « A l’avenir, l’objectif est bien d’avoir la capacité de neutraliser la menace ». L’armurier souhaite ainsi « reproduire dans l’espace les services d’armes, qui vont de la désignation à l’engagement de la cible » qu’il met déjà en œuvre par ailleurs. « L’espace est intégrable à n’importe quelle opération militaire, la guerre en Ukraine nous l’a montré, c’est pourquoi il est devenu stratégique, et qu’il faut le défendre », poursuit-il.