Droits de douane : « Les professionnels américains ne vont plus rien nous commander pendant un an », assure un viticulteur

Le secteur des vins et spiritueux espérait passer entre les gouttes. Il va trinquer comme les autres. Le droit global de 15 % qui s’impose sur les biens de l’Union européenne importés aux Etats-Unis, s’appliquera en effet également à l’ensemble des vins et spiritueux européens.
« L’application de ces droits sur nos vins et spiritueux n’apporte qu’une seule certitude » a réagi Gabriel Picard, président de la Fédération des exportateurs de vins et spiritueux (FEVS), « celle d’une période extrêmement difficile pour tous les exportateurs français et européens. »
A Bordeaux, où le marché américain est le premier marché à l’export, pesant 20 % des ventes à l’étranger, « nous sommes certains que notre business sera impacté » explique à 20 Minutes Christophe Chateau, directeur de la communication du Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB).
« Double peine »
Si une part des professionnels que nous avons interrogés, veut voir le verre à moitié plein, soulignant que les menaces de taxes douanières de l’administration Trump contre la filière vin étaient montées à un moment à 200 %, puis 20 %, puis 50 % ou encore 30 %, une autre partie « refuse de dire que 15 % c’est bien ».
« 15 % ce n’est pas catastrophique, mais cela reste évidemment une mauvaise nouvelle, sachant que c’est la double peine avec la situation du dollar qui se dévalorise face à l’euro, ce qui augmente de facto le prix des produits européens aux Etats-Unis » résume Christophe Chateau. Le directeur de la communication du CIVB explique « qu’avec les marges de l’importateur, du distributeur, du détaillant, le prix de la bouteille sera in fine supérieur de 20 % à 30 %. »
Les importateurs américains « ont anticipé l’achat de vin étranger »
A quoi les vignerons bordelais doivent-ils s’attendre ? « Très clairement, les professionnels américains ne vont plus rien nous commander pendant un an, jusqu’à ce qu’ils aient épuisé tout leur stock, sachant qu’ils ont rentré des vins du monde entier par anticipation, explique Michel Marengo, propriétaire du château Hourtin-Ducasse (Haut Médoc). Notre dernière commande venant des Etats-Unis remonte au mois de septembre dernier, manifestement parce que les Américains se préparaient à cette situation. »
Christophe Chateau a constaté le même phénomène. « Sur les douze derniers mois, le marché américain est en très forte progression dans l’ensemble des vins de Bordeaux, de + 13 % – contre 2 à 3 % d’ordinaire – ce qui présente 30 millions de bouteilles et 430 millions d’euros de chiffre d’affaires, explique-t-il. Les importateurs ont anticipé, dès la réélection de Donald Trump en octobre dernier, l’achat de vin étranger. »
« Cette fois-ci, tout le monde est logé à la même enseigne »
C’est la deuxième fois que les vins français se retrouvent surtaxés par Donald Trump. En octobre 2019, lors de son premier mandat, le président américain avait décrété des droits de douane de 25 % sur les vins tranquilles (non effervescents) provenant de l’hexagone, dans le cadre du contentieux opposant Boeing à Airbus. « Nous avions alors perdu presque 20 % de marché », se remémore Christophe Chateau.
La perte sera-t-elle aussi conséquente cette fois-ci ? « Le contexte est différent, souligne le directeur de la communication du CIVB, puisque lors de la première taxe Trump, ce sont des Etats qui avaient été sanctionnés – Allemagne, France, Espagne – si bien que d’autres pays, comme l’Italie, en avaient profité. Cette fois-ci, tous les producteurs européens, et même du monde entier, sont logés à la même enseigne. Quand tout le monde est taxé, nous sommes moins impactés. »
« Même la clientèle aisée américaine devra faire des choix »
Les conséquences de cette taxe « seront aussi très importantes pour les Etats-Unis, avec une perte de chiffre d’affaires en vue pour la filière et par voie de conséquence des licenciements » prévient Philippe Castéja, président de l’union des grands crus classés 1855 de Bordeaux.
S’attendant lui aussi à une hausse des prix « de l’ordre de 20 % à 25 % sous l’effet conjugué de la taxe et de la baisse du dollar », il estime que certains vins vont « changer de catégorie », perdant ainsi tout un pan de leur clientèle. « Ce sera peut-être un peu moins marquant pour les grands crus classés, qui sont de véritables marques, que pour les vins d’entrée de gamme, mais tous les consommateurs ont leur limite. »
Christophe Chateau explique que « le marché américain n’est pas qu’un marché de grands crus », mais que les zones d’export du vin de Bordeaux se situent « essentiellement à New York, en Californie, en Floride et au Texas, où le pouvoir d’achat est relativement élevé ». « Mais, même la clientèle aisée américaine devra faire des choix » confirme-t-il. « Le particulier va être un peu refroidi, et au lieu de commander 18 bouteilles, il va en prendre 12 » anticipe de son côté Michel Marengo, qui vend aussi directement aux particuliers outre-Atlantique.
« Être plus dynamique sur les autres marchés »
La FEVS veut toutefois croire que l’histoire n’est pas terminée. « Il faut dès à présent engager la discussion pour que les vins et spiritueux européens rejoignent la liste des produits bénéficiant d’une exemption du droit global de 15 % », affirme Gabriel Picard. Philippe Castéja pense également « qu’il y a encore des possibilités de discussion bilatérale » mais « cela risque de ne pas aller très vite. »
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En attendant, le château Hourtin-Ducasse va essayer « d’être plus dynamique sur les autres marchés, notamment l’Europe : Angleterre, Allemagne, Belgique, Pays-Bas… » « Les vins de Bordeaux vendent 50 % de leur production en France, c’est donc un sacré amortisseur » souligne de son côté Christophe Chateau. Philippe Castéja est un peu moins optimiste, soulignant « les difficultés » actuelles des marchés japonais et chinois, tandis que « les marchés européens sont touchés par le ralentissement économique général, et que la consommation en France est en berne. »
La seule véritable bonne nouvelle du moment, « est que l’on est parti pour faire un très beau millésime cette année » pointe Christophe Chateau, alors que les vendanges démarrent doucement dans le Bordelais. « Entre les nuits fraîches, la chaleur, et un peu d’eau quand il le faut, toutes les cases sont cochées. Cela remonte un peu le moral des troupes. »

