France

Deux pirates abattus, un otage tué par l’armée… En 2009, « l’échec » de l’opération de sauvetage de la « Tanit »

«Les pirates ne doivent pas anéantir notre rêve. » Un rêve devenu cauchemar. Ces mots, écrits sur un journal de bord en janvier 2009, rappellent que l’équipage de la Tanit avait une parfaite connaissance du danger de naviguer au large des côtes somaliennes. Quelques mois plus tôt, Florent Lemaçon, sa femme Chloé et leur fils de 3 ans avaient quitté le port de Vannes (Morbihan) pour un long périple familial à la voile qui devait les emmener jusqu’à Madagascar.

En avril 2009, leur bateau, appelé « la Tanit » se retrouvera au cœur d’une prise d’otage orchestrée par des pirates somaliens en quête d’argent. La France enverra alors ses forces spéciales pour libérer ses ressortissants mais rien ne se passera comme prévu. Trois hommes perdront la vie lors de l’assaut du commando français, dont le skipper français. À l’occasion de sa série « Meurtre en haute mer », 20 Minutes revient sur ce drame qui a mis des visages sur la réalité de la piraterie moderne.

Un voyage de famille qui tourne à l’horreur

Retour en juillet 2008. Florent et Chloé Lemaçon quittent le tranquille port de Vannes avec leur fils pour un long périple à bord de leur voilier. « Nous voulions vivre simplement, fuir un monde que nous trouvions de moins en moins tourné vers l’humanisme », racontait alors le couple sur son blog, toujours en ligne plus de quinze ans après les faits. Après une descente vers l’Espagne puis en Méditerranée, la famille bretonne franchit le canal de Suez et poursuit son périple au large des côtes africaines. Ils rencontrent même un couple de Français qui a été pris en otage en 2008 dans le golfe d’Aden. Il été libéré par la Marine nationale lors d’un assaut ordonné par le président de l’époque, Nicolas Sarkozy.

Images de l'assaut mené contre les preneurs d'otages du voilier La Tanit, en avril 2009 au large de la Somalie.
Images de l’assaut mené contre les preneurs d’otages du voilier La Tanit, en avril 2009 au large de la Somalie. - Marine nationale

Florent Lemaçon, Chloé et leur garçon de 3 ans sont aidés par deux amis, qui se relaient pour skipper le voilier. Ils naviguent loin des côtes somaliennes et toutes lumières éteintes la nuit. Les Français savent que la zone est dangereuse mais ils veulent à tout prix passer. Ils naviguent à plus de 600 kilomètres des côtes, quand soudain…

L’assaut de l’armée française qui se termine mal

Le 4 avril, tout bascule quand la Tanit est accostée par plusieurs pirates somaliens. Armés, les cinq hommes montent à bord du voilier et réclament une rançon. Une frégate française se rend sur les lieux avec l’objectif de négocier et d’éviter que les plaisanciers ne soient ramenés à terre. « J’avais des ordres très clairs, le bateau ne devait pas arriver en Somalie », témoignera un gradé français lors du procès aux assises en 2013. La consigne émane du président Nicolas Sarkozy. Mais rien ne va se passer comme prévu. Des négociations sont entamées. Les forces spéciales arrivées sur les lieux proposent d’échanger la mère et l’enfant contre un officier français. Refus des pirates, qui continuent de se rapprocher des côtes. Pour stopper leur avancée, les commandos marines font appel à un sniper, qui parvient à faire tomber les voiles.

Six jours après le début de la prise d’otages, un assaut est programmé. Il est 15h30, heure de Paris, quand les pirates postés sur le pont sont neutralisés. Deux sont tués et un tombe à l’eau. Il sera repêché vivant quelques instants plus tard. Moins de trente secondes plus tard, des fusiliers français sont sur la Tanit et mettent en sécurité quatre des cinq otages. Seul le père de famille est retenu dans la cabine par deux pirates. Les militaires français crient « couchez-vous ! » et tirent. Les deux pirates sont capturés, mais une balle vient toucher le skipper de 28 ans. Florent Lemaçon décède sur le coup. L’enquête révélera que c’est le tir d’un militaire français qui a tué l’otage, trompé par un faux jour à travers le hublot.

Dans les mois qui suivent, la veuve estime que l’Etat doit reconnaître son erreur, ce qu’il tardera à faire. Le ministre de la Défense de l’époque, Hervé Morin, qualifiera l’opération « d’échec ». Trois pirates sont faits prisonniers et rapatriés en France pour y être emprisonnés.

Un procès qui change le regard sur la piraterie

Quatre ans après la prise d’otages, un procès se tient devant la cour d’assises de Rennes. Les trois accusés encourent la perpétuité. Mais au fil de ce procès, le masque tombe. Les dangereux et féroces pirates somaliens ne sont pas ceux que l’on croit. « Le regard a changé. On les imaginait comme des criminels de haut vol, des sanguinaires. On s’est vite rendu compte qu’on avait face à nous de très jeunes gens désemparés », se souvient Me Catherine Glon, qui défendait l’un des trois hommes. « Mon client culpabilisait beaucoup parce que l’issue avait été dramatique. Il s’en voulait et en même temps, il n’avait aucune idée de ce dans quoi il embarquait », rappelle son avocate.

Les preneurs d'otages somaliens étaient armés quand ils ont accosté le voilier la Tanit. Deux d'entre eux seront tués. Trois seront faits prisonniers.
Les preneurs d’otages somaliens étaient armés quand ils ont accosté le voilier la Tanit. Deux d’entre eux seront tués. Trois seront faits prisonniers.  - Ministère de la Défense

A l’audience, les pirates expliquent avoir agi sous la menace d’individus dont ils étaient redevables. Jamais les commanditaires de cet assaut ne seront retrouvés. La cour d’assises est sensible aux témoignages des trois mis en cause, les condamnant à neuf années de prison. Une peine qui satisfait l’ensemble des parties. « Il y avait un drame, un mort, des infractions pénales. Il fallait qu’ils soient condamnés. Mais la peine m’avait semblé juste », se remémore l’avocate rennaise.

La nouvelle vie du pirate repenti

Pendant plusieurs années, Abdi, l’un des pirates impliqués dans la prise d’otages, va entretenir des échanges avec la veuve du skipper tué. « C’est une femme pleine de courage, pleine d’empathie », se souvient Me Catherine Glon. Chloé Lemaçon a même noué des liens d’amitié avec l’ancien pirate, le soutenant dans ses démarches de régularisation. Abdi a été libéré pour bonne conduite en 2015 avant d’être accueilli au sein de la communauté Emmaüs à Hédé, au nord de Rennes. Parfaitement réinséré, l’ancien pirate faisait encore l’objet d’une obligation de quitter le territoire français il y a quelques mois.