France

« C’était l’usine à violence »… L’affaire Bétharram réveille les douloureux souvenirs des élèves de « SFX » au Pays basque

Une libération de la parole qui semble inarrêtable. Depuis l’affaire Bétharram, plusieurs anciens élèves d’autres établissements catholiques, notamment dans le Sud-Ouest, montent à leur tour au créneau pour dénoncer des dérives éducatives, encourageant la violence de la part des encadrants, ainsi que des abus sexuels qui auraient aussi été commis.

L’un des derniers établissements mis en cause est Saint-François-Xavier, à Ustaritz, au Pays basque, pour lequel de nombreux témoignages dénoncent des abus commis notamment entre les années 1960 et 1990. C’est la révélation de cette affaire qui a provoqué la tenue d’une conférence de presse de l’évêque de Bayonne, Mgr Marc Aillet, jeudi.

« J’ai pris une grande baffe dans la tête, j’ai reculé de trois mètres »

Moins d’un mois après sa création, le groupe Facebook « Les anciens du collège Saint-François Xavier d’Ustaritz victimes de violence » approche déjà la centaine de membres. Son créateur, Gilles, explique à 20 Minutes que « c’est en lisant des témoignages sur l’affaire Bétharram, que je me suis aperçu que j’avais vécu exactement la même chose à Ustaritz ». Il annonce que « cinq ou six plaintes » concernant des faits de violence, et une pour des faits d’attouchement sexuel, vont être déposées dans les prochains jours.

Gilles, 63 ans, a été scolarité à « SFX » au début des années 1970. « J’y suis resté de la 6e à la 3e, raconte-t-il. J’habitais Bayonne, mes parents venaient de divorcer, et ma mère a préféré m’envoyer en pension là-bas. Elle s’est un peu débarrassée de moi. » Il assure avoir connu la violence dès son entrée en 6e. « On avait notamment un surveillant champion de France de pelote à mains nues, se remémore-t-il. Quand il s’entraînait avec sa balle, il cognait fort, et sa main doublait de volume. Un jour, juste après l’un de ses entraînements, nous étions en salle d’études, et j’avais fait une petite bêtise, je ne sais plus quoi, il m’a appelé, et il m’a mis une grande baffe dans la tête, j’ai reculé de trois mètres et je suis tombé par terre. C’est comme s’il m’avait frappé avec une pala [raquette en bois]. Voilà, quand je suis entré à Ustaritz, de suite j’ai senti ce climat de violence, et j’ai compris ce que serait mon avenir. »

La violence « venait aussi des enseignants », poursuit Gilles, « essentiellement des religieux ». Il y avait ainsi le supplice de la règle en bois, sur laquelle il fallait rester à genoux jusqu’à connaître sa leçon d’histoire par cœur. « C’était très douloureux. » Le sexagénaire se souvient aussi d’un laïc. « On le surnommait  » Mandibule « , parce que, quand il était énervé, il serrait les mâchoires, ça gonflait sur un côté… Quand on voyait ça, on savait qu’il allait nous frapper. Et il nous frappait pour rien. Juste parce qu’on tournait la tête pour voir ce qu’il se passait derrière… » Cela a duré ainsi « jusqu’en 3e ». « Ils nous frappaient tout le temps. D’autant plus que j’étais interne : en étant là plus longtemps, on était davantage exposé. »

« A l’affût de la moindre occasion pour taper »

Daniel, 75 ans, a fréquenté Ustarritz de 1962 à 1966, pendant tout le collège également. Il raconte y avoir subi « quelques violences physiques de la part de surveillants et d’enseignants, comme des coups de baguette sur la tête et sur les jambes, des gifles, les cheveux tirés, la mise à genoux » mais surtout avoir « assisté à de nombreuses violences que subissaient les camarades ».

S’il y a eu des abbés et des surveillants « qui étaient corrects », insiste Daniel, « d’autres étaient d’une extrême violence ». « Le principal personnage était ce qu’on appelait à l’époque le préfet de discipline, l’équivalent d’un surveillant général. Il se baladait partout une baguette à la main, à l’affût de la moindre occasion pour taper. Il faisait régner la terreur, et il y prenait plaisir. Il y avait aussi un prof de maths qui humiliait, dévalorisait les élèves. Il y avait l’abbé M. qui donnait des cours de chant. Il était baraqué, et quand il envoyait des gifles, les enfants reculaient de deux mètres. Ça glaçait tout le monde. »

Sur le groupe Facebook des anciens d’Ustaritz, les témoignages de violence vont tous dans le même sens. « Pour moi, SFX, c’était l’usine à violence, en 1985-1986 », assure Florent. C’était une violence « entre élèves et de la part de tous les encadrants. Une violence organisée, ritualisée. » Michel, « interne au séminaire de 1973 à 1976 », se souvient de son côté « de violences, de punitions à genoux sans poser les talons en haut des escaliers […] et d’être soulevé par les oreilles ».

« Non, ce n’était pas normal »

Et puis, il y avait « ce que j’appelle la violence psychologique », poursuit Daniel, « puisque l’on vivait dans la crainte permanente d’être sanctionné ou de subir une violence physique ». Ajoutez à cela l’inconfort de devoir se retenir d’aller aux toilettes « durant des jours » et l’hygiène « plus que limite ». « J’entends dire aujourd’hui que c’était une autre époque, qu’il faut recontextualiser. Mais là où j’habitais, mes voisins n’ont pas connu cette violence dans leur scolarité. Non, ce n’était pas normal. »

Et, si l’on n’en parlait pas à l’époque, cette violence a laissé des traces. « Là-bas, j’ai appris à être en alerte constante, avec le sentiment d’un danger permanent, assure Daniel. Par la suite, même si je m’en suis bien sorti professionnellement, j’ai connu des moments difficiles, et cela a eu des effets sur mon caractère, sur la gestion de mes émotions. » Idem pour Gilles. « En discutant avec plusieurs personnes du groupe, je me suis aperçu que nous partagions les mêmes traits de caractère, avec des hauts et des bas, et nous nous sommes dit que cela venait sûrement de là. L’une de ces personnes, qui travaille avec des enfants et recueille parfois des témoignages d’agressions, replonge régulièrement dans ce qu’elle a vécu, et doit se mettre souvent en arrêt de travail. Elle n’a pas réussi à avoir une vie normale. »

C’est pourquoi Daniel encourage les victimes à s’exprimer. « Certains anciens élèves avec qui j’échange n’osent pas témoigner, leur famille, leurs proches, les dissuadent. Or, c’est important que la honte soit du côté des agresseurs, pas des victimes. Mais je comprends que ce soit difficile. Moi-même j’ai dû attendre l’âge de 59 ans pour faire un travail avec un psy, qui a duré sept ans. Et quand le scandale Bétharram est sorti, il y a un peu plus d’un an, cela a réactivé des choses chez moi… C’est ce qui m’a poussé à écrire un livre sur Ustaritz. »

« Souffrance profonde »

Reste, enfin, le cas des violences sexuelles. « Moi-même, je n’en ai pas subi, et je n’en ai pas été témoin, mais nous commençons à avoir quelques témoignages en ce sens », assure Gilles, le créateur du groupe Facebook. Une première plainte pour viol et violences a même été déposée en février au parquet de Pau par un ancien élève, qui a fréquenté par la suite Bétharram. Les faits remontent à 1983. Une deuxième pour attouchements sexuels devrait bientôt suivre. Scolarisé de 1977 à 1979, Renaud Fabier dit en effet avoir subi à Ustaritz des attouchements de la part d’un ecclésiastique, à l’âge de 12 ans.

Notre dossier sur l’affaire Bétharram

Interrogé sur l’ensemble de ces faits, jeudi lors de sa conférence de presse, l’évêque de Bayonne, Mgr Marc Aillet, a répété avoir « tout appris dans la presse ». Il a néanmoins encouragé « les victimes à parler ». « C’est important car la parole libère, et c’est le début du chemin vers la reconnaissance et la réparation. »

« Que les personnes se manifestent, a embrayé Vincent Destais, directeur diocésain de l’enseignement catholique. Je suis surpris, même si je le comprends car la souffrance est profonde, du silence qui entoure parfois la victime elle-même. »