Maroc

La loi sur la grève entérinée, une nouvelle étape pour le dialogue social

Longtemps laissé sans cadre précis, le droit de grève au Maroc était source de tensions récurrentes entre employeurs et syndicats. L’absence de réglementation claire rendait les mobilisations des salariés imprévisibles et parfois difficiles à gérer, accentuant les conflits sociaux. Pour faire face à cette situation, une première tentative de légiférer sur la question avait été initiée en 2016 sous le gouvernement Benkirane, mais le projet avait été vivement contesté par les syndicats et n’avait jamais abouti. En avril 2022, un accord entre le gouvernement Akhannouch et les partenaires sociaux avait fixé un calendrier législatif prévoyant son adoption avant janvier 2023, mais les négociations se sont heurtées à des blocages persistants. Ce n’est qu’en 2024 que le texte a été relancé avec une volonté affirmée de parvenir à un compromis. Après des mois d’amendements et de débats parlementaires, la loi a été adoptée en mars 2025. Avec cette loi, le gouvernement veut poser des règles qui, selon lui, permettront de moderniser les relations professionnelles et d’instaurer un cadre plus équilibré entre les différents acteurs du monde du travail. «Cette loi était indispensable pour instaurer une dynamique de dialogue social plus sereine et plus équilibrée», défend Younes Sekkouri, ministre de l’Emploi. «Elle garantit le droit de grève tout en assurant une meilleure organisation des mobilisations, évitant ainsi les situations de blocage total qui nuisaient aussi bien aux travailleurs qu’à l’économie nationale.»

La Cour constitutionnelle valide la loi sur la grève malgré quelques réserves

Quelles nouveautés ?

Avec cette loi, le droit de grève au Maroc est désormais encadré par des règles claires, après des années d’incertitude et de flou juridiques. L’objectif affiché par le gouvernement est d’assurer un équilibre entre la liberté de mobilisation des travailleurs et la continuité des services essentiels, tout en évitant les blocages prolongés qui peuvent paralyser certains secteurs. Parmi les principales nouveautés, l’obligation d’un préavis de 15 jours avant tout mouvement social, une disposition qui vise à favoriser le dialogue avant le passage à l’acte. Les piquets de grève sont également encadrés, afin d’éviter toute entrave à ceux qui souhaitent continuer à travailler. Dans les secteurs jugés vitaux, comme la santé et la justice, un service minimum est désormais obligatoire, afin de garantir que les grèves n’affectent pas des besoins essentiels. Autre avancée notable, la loi assouplit certaines restrictions qui figuraient dans les versions précédentes du texte. L’interdiction des grèves pour motifs politiques a été levée, permettant aux travailleurs de se mobiliser pour des revendications plus larges. Les grèves tournantes, autrefois interdites, sont désormais possibles, sous certaines conditions. Par ailleurs, les sanctions pénales, qui avaient suscité des inquiétudes chez les syndicats, ont été supprimées, limitant ainsi le risque de répression judiciaire des mouvements sociaux. In fine, la loi clarifie qui peut appeler à la grève et sous quelles conditions, mettant fin à une certaine confusion qui régnait jusqu’ici. Désormais, seuls les syndicats représentatifs peuvent officiellement déposer un préavis de grève, garantissant un cadre plus structuré aux mobilisations. Dans les entreprises où il n’existe pas de syndicat, un minimum de 25% des salariés devra se prononcer pour enclencher un mouvement collectif, contre 75% initialement prévu dans la première version du texte.

Une validation assortie d’ajustements

Si la Cour constitutionnelle a validé la loi organique n°97.15 dans son ensemble, elle a toutefois recommandé des ajustements pour garantir la conformité du texte avec les principes fondamentaux du droit du travail. Trois articles en particulier devront être précisés avant l’entrée en vigueur de la loi. L’article 1, qui définit les principes généraux du droit de grève, devra être reformulé pour éviter toute interprétation ambiguë. L’article 5, qui encadre les grèves dites «illicites», nécessite des clarifications afin de ne pas prêter à confusion et de garantir une application juste et équilibrée. L’article 12, qui concerne les entreprises dépourvues de représentation syndicale, devra également être ajusté pour que les travailleurs puissent pleinement exercer leur droit à la grève, même en l’absence de structure syndicale formelle.

Des syndicats entre opposition et concertation

Si certains syndicats saluent une loi qui clarifie enfin les règles du jeu, d’autres dénoncent des mesures jugées trop restrictives. L’Union marocaine du travail (UMT) et la Confédération démocratique du travail (CDT) ont notamment critiqué l’obligation de préavis et la possibilité de suspendre les salaires des grévistes, qu’elles considèrent comme des leviers de pression en faveur des employeurs. «Cette loi introduit des contraintes qui risquent de réduire l’efficacité des mouvements sociaux», regrettait Kamal Alami Houir, secrétaire général-adjoint de la CDT. «Un préavis aussi long affaiblit la capacité de réaction des travailleurs face aux abus». Cependant, d’autres syndicats, comme l’Union générale des travailleurs du Maroc (UGTM), adoptent une posture plus ouverte. «Il s’agit d’une étape cruciale dans l’Histoire de notre pays, tant sur le plan économique et social que démocratique», avait déclaré Hanae Ben Khir, membre de l’UGTM lors d’une séance de discussion à la Chambre des conseillers.

Conscient des préoccupations exprimées, le gouvernement a annoncé l’ouverture de nouvelles discussions avec les syndicats afin d’assurer une mise en œuvre équilibrée du texte. «Nous sommes dans une logique de concertation permanente», insistait Younes Sekkouri. «Le dialogue social ne s’arrête pas avec l’adoption d’une loi, il se poursuit pour garantir son application juste et efficace». Avec la validation de la Cour constitutionnelle, le Maroc franchit un cap important dans la structuration de son dialogue social. En clarifiant les conditions d’exercice du droit de grève, la loi organique n°97.15 apporte une meilleure lisibilité des droits et obligations de chaque acteur.

La Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) salue ainsi une avancée qui «permet de concilier la nécessité d’un cadre légal clair avec la garantie des droits fondamentaux des travailleurs». Pour le gouvernement, cette réforme est un jalon essentiel vers un dialogue social plus structuré et plus mature. «Notre priorité est de garantir une justice sociale et économique», relève Younes Sekkouri. «Nous avons désormais un cadre qui permet à chacun d’exercer ses droits dans un environnement équilibré. Il nous appartient maintenant de continuer à améliorer ce texte en concertation avec toutes les parties prenantes».