Nizar Baraka : Les dernières pluies ne changent rien à la gravité de la situation hydrique


Six cents m³. C’est tout ce qu’il reste, en moyenne, à chaque Marocain en termes de ressources en eau par an. En 1960, ce chiffre était de 2.560 m³. En un demi-siècle, le pays a perdu plus de 75% de ses réserves disponibles, basculant ainsi dans une situation de pénurie hydrique extrême, a révélé Nizar Baraka, ministre de l’Équipement et de l’eau, lors de la conférence «Stress hydrique au Maroc : comprendre et agir», organisée mercredi à Rabat. L’eau, autrefois perçue comme une ressource abondante, est aujourd’hui menacée par une conjonction de facteurs : baisse des précipitations, surexploitation des nappes phréatiques, pollution et inefficacité des infrastructures de distribution. La situation est critique. Le taux de remplissage des barrages a chuté à 18,9% au 11 mars 2025, contre 31,1% à la même période en 2024. Aujourd’hui, grâce aux pluies de la semaine dernière, les barrages ont gagné 277 millions de mètres cubes, presque la consommation annuelle de Casablanca, mais cela ne change rien à la gravité de la situation.
Il y a péril en la demeure
Certaines régions sont en état d’urgence absolue, notamment Souss-Massa et Draâ-Oued Noun, dont les réserves ne dépassent pas 8% de leur capacité totale. Selon le ministre de l’Équipement et de l’eau, il y a péril en la demeure. «Nous sommes à un tournant. La disponibilité de l’eau est aujourd’hui un enjeu stratégique et un défi majeur pour la sécurité nationale.» M. Baraka affirme toutefois que depuis plusieurs années, le pays multiplie les plans pour contenir la crise. Cinq nouveaux barrages ont été inaugurés entre 2022 et 2024, notamment à Tiddas, Todgha, Agdez, Taskt et M’dez, tandis que 16 autres sont en cours de construction. Le gouvernement mise aussi sur un vaste projet d’interconnexion des bassins du Loukkos, du Sebou, du Bouregreg et de l’Oum Er-Rbia, afin de redistribuer l’eau vers les régions les plus en difficulté. «Cette interconnexion est essentielle pour mieux gérer la répartition des ressources hydriques entre les zones qui en ont le plus besoin», a précisé Nizar Baraka.
Recours aux ressources non conventionnelles
Mais ces infrastructures ne suffisent pas. Face à la baisse chronique des précipitations, le recours aux ressources non conventionnelles est devenu une priorité nationale. Aujourd’hui, le Maroc dispose de 16 stations de dessalement, avec une capacité de production de 277 millions de m³ par an, et cinq nouvelles unités sont en cours de développement, ce qui portera la capacité totale à 430 millions de m³. L’objectif affiché est ambitieux : atteindre 1.700 millions de m³ d’ici 2050 pour sécuriser l’approvisionnement en eau, notamment pour l’usage domestique et agricole. Mais cette technologie, bien que prometteuse, reste coûteuse et dépendante de l’énergie. Par ailleurs, l’eau agricole, qui représente 85% de la consommation nationale, est aussi au cœur des préoccupations. Le gouvernement tente d’encadrer l’usage des nappes phréatiques, qui sont surexploitées, parfois au point de l’épuisement. Quinze contrats de gestion des nappes sont en cours de signature pour mieux encadrer les prélèvements et éviter l’épuisement des réserves souterraines. «Nous devons assurer une exploitation plus rationnelle des nappes et renforcer la recharge artificielle pour éviter leur assèchement», a insisté Nizar Baraka.
Réseaux de distribution : 23% d’eau perdus
L’un des enjeux majeurs est aussi la lutte contre les pertes en eau dans les réseaux de distribution. Aujourd’hui, le rendement des infrastructures est de 77%, ce qui signifie qu’environ 23% de l’eau acheminée est perdue avant d’arriver aux consommateurs. Le gouvernement espère porter ce rendement à 78% en 2027 et 80% en 2030, en rénovant les conduites et en optimisant les systèmes de gestion. Mais au-delà des infrastructures, c’est toute une gestion de l’eau qui doit être repensée. «Nous devons aller vers une nouvelle culture de l’eau, fondée sur l’économie et l’optimisation de chaque goutte», a déclaré le ministre. Les campagnes de sensibilisation se multiplient pour encourager les citoyens et les industriels à réduire leur consommation, mais les efforts restent encore insuffisants. La transition vers une gestion plus durable est donc désormais une nécessité. Si les projets engagés aujourd’hui sont ambitieux, ils devront être accompagnés d’une application rigoureuse et d’un suivi transparent. «L’eau est un défi collectif qui concerne tous les Marocains», a conclu Nizar Baraka. «Il n’y aura pas de développement sans une gestion responsable de cette ressource vitale».