L’Algérie doit cesser d’instrumentaliser les Sahraouis pour servir son agenda politique (Abdelouahab Gain Brahim)

Le Matin : L’Alliance des ONG sahraouies s’impose comme une voix considérable dans la défense des droits humains dans les provinces du Sud et à Tindouf. Qu’est-ce qui a motivé sa création ?
Adelouahab Gain Brahim :
L’Alliance a vu le jour compte tenu du manque d’acteurs engagés dans la défense des droits humains en relation avec les mécanismes internationaux de protection des droits de l’Homme. Nous avons réuni plusieurs organisations, dont l’Organisation africaine de surveillance des droits de l’Homme (Africa Watch), l’ONG Défenseurs des droits de l’Homme et le Réseau international des droits de l’Homme et du développement, afin de renforcer la coordination et de faire entendre la voix des victimes auprès des instances onusiennes. Notre objectif est de documenter les violations, de produire des rapports et d’interpeller les instances internationales sur la situation des droits humains dans les provinces du sud du Maroc et dans les camps de Tindouf, où des abus graves sont commis dans un vide juridique inquiétant.
Lors de la session du Conseil des droits de l’Homme à Genève, vous avez dénoncé l’exploitation des enfants sahraouis. Que se passe-t-il concrètement dans ces camps ?
Nous avons mis en avant des violations graves, notamment l’exploitation des enfants dans les camps de Tindouf. Ceux-ci sont enrôlés de force par le groupe armé du polisario, qui les sépare de leurs familles pour en faire des combattants, des messagers ou les forcer à travailler. Ils subissent un endoctrinement idéologique intense dès leur plus jeune âge, avec des discours de haine et une formation militaire brutale. Certains sont envoyés en Europe sous le programme humanitaire «Vacances de la paix», mais la réalité est tout autre : ils deviennent des outils de propagande politique et, dans certains cas, sont victimes de trafic humain. Nous avons demandé au Conseil des droits de l’Homme d’interpeller l’Algérie, pays hôte de ces camps, pour qu’elle garantisse l’accès aux aides humanitaires et protège ces enfants contre toute forme d’exploitation.
Vous avez également dénoncé la répression des Sahraouis qui tentent d’exprimer leur mécontentement. Quel est le sort des opposants au sein des camps ?
Toute voix dissidente est immédiatement écrasée. Les manifestants qui réclament le droit de circuler librement sont arrêtés, battus et parfois portés disparus. Les forces du polisario, avec l’appui de l’armée algérienne, organisent des rafles brutales contre les protestataires. Des vidéos montrent des civils sans défense violemment frappés, puis emmenés vers des destinations inconnues. Nous avons appelé la communauté internationale à exiger d’Alger qu’elle mette fin à cette répression et qu’elle garantisse des droits fondamentaux aux populations des camps et le Conseil des droits de l’Homme doit exiger des autorités algériennes qu’elles assument leurs responsabilités juridiques et cessent de déléguer leur pouvoir judiciaire à un mouvement militaire autoritaire.
Vous avez également participé à des événements parallèles lors de cette session. Quels en ont été les temps forts ?
Nous avons pris part à plusieurs conférences, notamment un panel sur «La répression de la société civile en Algérie», organisé par l’article 19, la FIDH, Human Rights Watch et Amnesty International. Ce fut l’occasion de rappeler que le régime algérien musèle les militants et limite sévèrement les libertés fondamentales, y compris dans les camps de Tindouf. Lors de cette conférence, j’ai interpellé la rapporteuse spéciale de l’ONU sur les défenseurs des droits humains, Mary Lawlor, sur l’absence de toute mention des militants sahraouis de Tindouf dans son dernier rapport sur l’Algérie. Malgré des preuves accablantes de répression, d’arrestations arbitraires et de tortures, leur sort est largement ignoré par la communauté internationale. Sa réponse a été évasive, évoquant une distinction complexe entre les défenseurs des droits humains et les activistes politiques, mais elle a promis la publication prochaine d’un texte sur la situation des militants sahraouis.
Pensez-vous que vos interventions parviennent à faire bouger les lignes ?
Le changement ne viendra pas en une seule session, mais nous savons que chaque rapport, chaque témoignage et chaque intervention rapproche la vérité du grand public et des décideurs. Notre action repose sur un travail de longue haleine, en multipliant les interventions et en collaborant avec les experts de l’ONU, les ONG internationales et les chercheurs.
Nous avons soumis plusieurs rapports, notamment un rapport sur l’exploitation des enfants sahraouis et leur enrôlement forcé, dans le cadre de l’élaboration du commentaire général n°27 du Comité des droits de l’enfant et un dossier sur les disparitions forcées, demandant à ce que la juridiction universelle soit utilisée pour juger les responsables des abus dans les camps de Tindouf. Nous avons également alerté les instances internationales sur les discriminations subies par les personnes handicapées dans les camps et avons contribué à un rapport destiné à un prochain sommet sur les disparitions forcées, en soulignant les exactions commises sous la protection du régime algérien.
Que faut-il, selon vous, pour que la communauté internationale prenne enfin la mesure de la situation ?
Il faut une enquête indépendante et une pression diplomatique forte sur l’Algérie pour qu’elle cesse de couvrir les crimes du polisario. Nous espérons que les Nations unies et les organisations internationales prennent enfin conscience de la gravité de la situation et cessent d’ignorer les réalités du terrain. Depuis des décennies, les Sahraouis des camps sont traités comme une monnaie d’échange dans un conflit géopolitique. Leur voix a été étouffée, leurs droits bafoués. Nous demandons l’ouverture immédiate des camps, la liberté de mouvement pour ses habitants et la fin de l’exploitation des enfants et des opposants. Le monde doit savoir ce qui se passe à Tindouf. L’Algérie doit cesser de jouer un double jeu et d’instrumentaliser cette population à des fins politiques. Notre combat est celui de la justice, de la dignité et du respect des droits humains. Et nous continuerons à faire entendre ces voix, aussi longtemps qu’il le faudra.