Trafic : Des cactus aussi chers que de la cocaïne ? On vous dit tout sur « l’opération Atacama »
Un million d’euros de cactus volés, une enquête tentaculaire, et une condamnation inédite : l’affaire Andrea Piombetti a marqué un tournant dans la lutte contre le trafic de biodiversité. On vous explique tout sur l’« opération Atacama ».
Dans l’un des endroits les plus arides de la planète, où la vie semble impossible, prospèrent des cactus d’une rareté exceptionnelle : les Copiapoa, véritables joyaux du désert d’Atacama, au Chili. Leur résilience et leur esthétique géométrique en ont fait des trésors pour les collectionneurs du monde entier, jusqu’à attirer des convoitises criminelles. C’est ainsi qu’un réseau international de contrebande a été démantelé après une saisie record en Italie, dans l’affaire baptisée « Opération Atacama », rapporte la BBC.
Un collectionneur hors-la-loi
Tout a commencé en 2013, lorsqu’un envoi suspect de 143 cactus à destination d’Andrea Piombetti, un collectionneur italien, est intercepté à l’aéroport de Milan. L’homme, connu sous le surnom de « Roi des Pirates du Cactus », affiche fièrement son obsession pour ces plantes. Son domicile est perquisitionné, et la police met la main sur des centaines de spécimens extraits illégalement du Chili. Pourtant, l’affaire est classée sans suite en raison de la prescription légale.
Sept ans plus tard, en 2020, un nouvel élément relance l’enquête : après une plainte concernant le vol d’un rare plant en Italie, la police découvre chez Andrea Piombetti une véritable caverne d’Ali Baba végétale : plus de 1.000 Copiapoa, d’une valeur dépassant le million d’euros. Grâce aux analyses botaniques et aux documents retrouvés sur son ordinateur, les enquêteurs remontent jusqu’à son complice Mattia Crescentini et à tout un réseau de trafic international, impliquant des revendeurs en Europe et des acheteurs en Asie.
Un trafic extrêmement bien rodé
Les cactus étaient acheminés depuis le Chili via la Grèce et la Roumanie, avant d’atterrir en Italie. Certains étaient revendus à prix d’or sur des sites spécialisés. Un acheteur japonais versait ainsi 2.500 euros par mois à Andrea Piombetti pour enrichir sa collection. D’autres provenaient d’expéditions directement organisées sur le terrain, où des collecteurs locaux, parfois peu expérimentés, déracinaient massivement ces plantes centenaires.
D’après Barbara Goettsch, spécialiste des cactus à l’UICN, 76 % des espèces de Copiapoa sont aujourd’hui menacées, entre le braconnage et les effets du changement climatique qui assèchent leur habitat.
Un procès historique
L’affaire a débouché sur un procès historique. En janvier 2025, Andrea Piombetti a été condamné en Italie à 18 mois de prison et 25.000 euros d’amende, son complice Mattia Crescentini a écopé de 12 mois et 18.000 euros d’amende. Mais la justice va plus loin : pour la première fois, elle a reconnu que ce crime n’a pas seulement lésé des lois humaines, mais aussi la nature elle-même. L’association italienne ABC, engagée dans la conservation des cactus, a reçu 20.000 euros de dommages et intérêts pour le préjudice écologique.

En parallèle, le Chili a pris des mesures. Apprenant le verdict italien, la justice locale a lancé ses propres poursuites et arrête Piombetti à son arrivée à Santiago en septembre 2024. Verdict : une interdiction de territoire de 10 ans et une amende de 5 millions de pesos. Une décision saluée comme un avertissement fort contre le trafic de plantes protégées.
Des droits pour les plantes
Autre avancée majeure : 840 des Copiapoa saisis ont été rapatriés au Chili, une première mondiale pour un tel crime environnemental. Même si ces cactus ne pourront jamais être réintroduits dans la nature, ils serviront à la recherche et à la préservation de l’espèce.
Pour Jacob Phelps, expert en droit environnemental, cette décision pose les bases d’une nouvelle ère de justice écologique : « Nous donnons enfin des droits aux plantes, le droit de ne pas être détruites. » Une idée qui commence à faire son chemin à travers d’autres affaires en Ouganda, aux Philippines et en Indonésie.
Une victoire qui reste fragile
Malgré ces avancées, les défenseurs du désert d’Atacama restent sceptiques. Mauricio Gonzalez et Rodrigo Castillo, membres du collectif Caminantes del Desierto, constatent encore trop souvent les ravages du braconnage. Certains volontaires cachent même leurs cactus préférés sous des pierres pour les protéger des voleurs.
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Et le plus grand ennemi des Copiapoa pourrait bien être le climat lui-même : la modification des brumes camanchaca, leur principale source d’eau, menace désormais leur survie autant que les trafiquants.