Guerre en Ukraine : Pourquoi la rumeur d’un Donald Trump « agent dormant » de la Russie séduit-elle autant ?

Un début de rencontre « constructif », loin de l’atmosphère électrique lors de l’entrevue entre Volodymyr Zelensky et Donald Trump à la Maison Blanche. Les pourparlers de paix entre l’Ukraine et la Russie qui se tiennent actuellement en Arabie saoudite sous l’égide américaine ne font que commencer, mais pour l’instant, toujours pas de post vengeur du président américain pour expliquer que Poutine est décidément un homme beaucoup plus responsable que son homologue ukrainien. Cela doit le démanger, pourtant : Donald Trump manque rarement une occasion de dire tout le bien qu’il pense de Poutine.
« Trump a une affection bien documentée pour les autocrates »
L’une des explications les plus répandues quant à cette admiration douteuse est à mettre en lien avec la psychologie du président américain. « Donald Trump a une affection bien documentée pour les autocrates, que ce soit Xi Jinping [le président chinois], Viktor Orbán [dirigeant hongrois] ou Vladimir Poutine, développe auprès de 20 Minutes Lauric Henneton, spécialiste des Etats-Unis et maître de conférences à l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines. On voit bien dans sa relation avec le Congrès, avec le pouvoir judiciaire, qu’il voudrait bien qu’il y ait des contre-pouvoirs plus discrets. »
Ses relations avec Volodymyr Zelensky n’ont également pas commencé au beau fixe. « La première procédure de destitution contre Donald Trump est liée à son coup de fil avec Volodymyr Zelensky en 2019 », rappelle le spécialiste. Volodymyr Zelensky venait alors d’être élu à la tête de l’Ukraine. Le président américain lui aurait demandé de « se pencher » sur Joe Biden, son rival démocrate, déclenchant un scandale d’Etat aux Etats-Unis.
Donald Trump, « contact confidentiel » du KGB ?
Mais circule surtout depuis quelques jours une thèse selon laquelle le président américain aurait été recruté par les services secrets russes en 1987. C’est ce qu’a affirmé le 20 février sur son profil Facebook Alnur Mussayev, l’ancien responsable du KGB au Kazakhstan. Le journaliste Régis Genté, auteur d’un livre sur les relations entre Donald Trump et les Russes*, écarte cette possibilité. Impossible, selon lui, que Alnur Mussayev ait été à l’époque au courant d’un tel recrutement : « Il ne travaillait pas dans le département qui s’occupait de cela » et le KGB était à l’époque très compartimenté.
Il est plus plausible que Donald Trump ait été un « contact confidentiel » pour le KGB, comme le développe Régis Genté dans son livre. Dans ce cas, la relation est entretenue par les services secrets sans que la cible n’en ait toujours conscience. « On a des documents du KGB de l’époque qui montre comment on recrutait alors, développe Régis Genté. Les cibles étaient des personnalités politiques, des scientifiques ou des hommes d’affaires. On voit que Donald Trump rentre dans le profil. »
Un voyage « qui est typiquement une opération du KGB »
Donald Trump s’est rendu pour la première fois en Russie en 1987, à l’invitation d’une agence de voyages. A l’époque, il est marié à Ivanka Trump, une mannequin tchèque. Ce voyage « est typiquement une opération du KGB, développe Régis Genté, on le flatte en lui donnant une stature d’homme d’affaires international en lui faisant miroiter de construire une Trump Tower dans une des plus grandes villes du monde, Moscou. »
La construction de la tour n’a jamais eu lieu, mais, au cours des ans, Donald Trump se rend de nouveau à Moscou à quatre reprises. Son dernier voyage remonte à 2013, où il s’y rend pour le concours miss Univers. Une rumeur circule ensuite selon laquelle les Russes auraient en leur possession une vidéo compromettante de Donald Trump. Une pure affaire de kompromat sexuel dans la lignée des méthodes soviétiques. « Cette histoire est selon toute vraisemblance inventée, explique Régis Genté. C’est probablement les Russes qui l’ont plantée dans un dossier d’enquête. »
Donald Trump se défend de toute collusion
A plusieurs reprises, Donald Trump s’est défendu de toute manœuvre directe avec les Russes. Il aime d’ailleurs à brandir les conclusions du rapport du procureur Mueller, qui avait enquêté sur les ingérences russes dans la campagne présidentielle américaine de 2016.
Le procureur avait écarté toute collusion entre l’équipe de campagne de Donald Trump et la Russie. Toutefois, des contacts ont bien eu lieu. Ils « ont consisté en des liens d’affaires, des propositions d’assistance à l’équipe de campagne, des invitations pour une rencontre en personne entre le candidat Trump et Poutine, des invitations pour des rencontres entre des responsables de la campagne et des représentants du gouvernement russe, et des positions politiques visant à améliorer les relations américano-russes », lit-on dans le rapport.
Malaise chez les Républicains
Lors du premier mandat de l’homme d’affaires à la présidence des Etats-Unis, une scène avait marqué l’opinion publique et le parti républicain. En 2018, alors que Donald Trump et Vladimir Poutine donnent une conférence de presse à l’issue d’un sommet du G20 à Helsinki, le président américain met sur le même plan le travail des services américains, qui ont conclu à une ingérence russe, et les démentis de l’autocrate du Kremlin. « Cela avait suscité beaucoup de malaise chez les Républicains », se souvient Lauric Henneton. Dans le parti, le souvenir de Ronald Reagan, l’un des présidents les plus anticommunistes de l’histoire américaine, compte encore beaucoup, alors.
Mainmise sur le parti
En ce début 2025, un mois et demi après la seconde investiture de Donald Trump, la donne a changé. La mainmise de l’homme d’affaires de New York sur le parti est beaucoup plus importante. Un exemple est le parcours de Marco Rubio. Cet ancien sénateur « est un anticommuniste et antirusse notoire », rappelle Jérôme Viala-Gaudefroy, docteur en civilisation américaine et auteur d’un livre sur la rhétorique de Donald Trump**. Depuis qu’il a été nommé chef de la diplomatie américaine, Marco Rubio « prend une position totalement alignée sur celle de Donald Trump. »
Autre revirement spectaculaire, même si le personnage est moins connu de ce côté de l’Atlantique, celui du sénateur Lindsey Graham, partisan actif du soutien à l’Ukraine, qui a appelé à la démission de Volodymyr Zelensky après la rencontre désastreuse à la Maison-Blanche. Il semble toutefois avoir repris un peu de distance avec Donald Trump, se montrant critique de la décision de mettre en pause l’aide au pays agressé.
« A l’époque, on n’avait pas les câlins à Vladimir Poutine »
Même les sondages d’opinion, qui montrent que les électeurs républicains ont une image peu favorable de Vladimir Poutine et soutiennent l’Ukraine, ne semblent pas perturber l’occupant du Bureau ovale. Donald Trump sait qu’il sera jugé par ses électeurs sur ses résultats économiques plus que sur sa politique internationale. « C’est de la politique étrangère, et ce n’est pas ça qui remplit le frigo, souligne Lauric Henneton. Ils ne vont pas le lâcher parce qu’il a trahi. »
Au regard des autres annonces de Donald Trump sur les questions internationales, notamment le démantèlement de l’USAID, l’agence chargée de l’aide au développement international, ne faut-il pas voir cette volonté de désengagement en Ukraine comme participant d’une politique de repli global et d’« America first » ? « Cette volonté de désengagement existait déjà chez Barack Obama, qu’on ne peut pas taxer d’être pro-russe, répond le spécialiste. A l’époque, on n’avait pas les câlins à Vladimir Poutine. Trump n’est pas obligé de donner autant de gages. »
* Notre homme à Washington, Trump dans la main des Russes, paru chez Bernard Grasset.
** Les mots de Trump, paru aux éditions Dalloz.