Maroc

Les évolutions du paysage médiatique marocain vues par la HACA

La Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle (HACA) vient de publier son rapport annuel au titre de l’année 2023. Publié dans un environnement marqué par des «mutations technologiques et économiques profondes», selon les termes de la présidente de l’institution, Latifa Akharbach, ce rapport annuel met à nu les défis «complexes» et désormais «structurels» auxquels fait face le secteur audiovisuel marocain.

«La pérennité et le renforcement de la résilience de notre paysage médiatique est tributaire de la capacité de tous les acteurs, publics et privés, à élaborer des réponses adaptées,» souligne Mme Akharbach dans son mot d’introduction. Le document intervient également dans un contexte où «la mondialisation de l’offre médiatique et l’accès croissant aux ressources de la société de l’information nous imposent d’œuvrer avec plus de diligence à la mise en place de nouveaux dispositifs juridiques,» précise le rapport, qui constitue à la fois un diagnostic de l’année 2023 et une feuille de route pour les défis à venir.

Un traitement rigoureux des plaintes sous le signe de la dignité humaine

En 2023, le Conseil Supérieur de la Communication Audiovisuelle (CSCA) a statué, selon le rapport, sur 52 plaintes déposées par des tiers, concernant diverses problématiques. «La dignité humaine et les discours discriminatoires arrivent largement en tête avec 14 décisions, suivis par l’honnêteté et l’équilibre de l’information avec 6 décisions», précise le rapport. Les individus constituent la principale source de plaintes (38 requêtes), bien que 8 d’entre elles aient été jugées hors du champ de compétence du régulateur.

«Nous observons une tendance baissière des sanctions sur les trois dernières années», indique la HACA dans son rapport. Seulement 2 avertissements ont été prononcés en 2023, contre 3 en 2022 et 4 en 2021. Fait notable, le régulateur n’a pris aucune décision de suspension de diffusion de programme, tandis qu’une seule diffusion de communiqué du CSCA a été ordonnée.

Pluralisme médiatique: les associations prennent la parole

Le pluralisme, pilier fondamental de la démocratie, fait l’objet d’une attention particulière. En 2023, le volume global de prise de parole des personnalités publiques dans les programmes d’information a atteint 1.187 heures, 27 minutes et 08 secondes, soit une augmentation de près de 100 heures par rapport à 2022.

Contrairement aux idées reçues, ce ne sont pas les politiques qui monopolisent les ondes. «Les personnalités du tissu associatif sont plus nombreuses à prendre la parole avec une part de 40,57% du volume global, soit cinq points devant les acteurs politiques (35,22%)», révèle la HACA. Ces deux catégories occupent ensemble plus des trois quarts (75,80%) du temps d’antenne total.

La présidente de la HACA, Latifa Akharbach, souligne dans son mot introductif que «les principes fondamentaux régissant la régulation médiatique au Maroc reposent sur l’élargissement de l’offre audiovisuelle, la préservation de la pluralité des opérateurs, la promotion de la diversité culturelle et la garantie d’une information de qualité».

Le rythme des saisons dicte l’agenda médiatique

L’analyse trimestrielle des temps de parole révèle un phénomène cyclique fascinant. Le quatrième trimestre de 2023 a enregistré la durée la plus élevée avec environ 375 heures, représentant 31,57% du temps annuel. À l’inverse, le troisième trimestre a connu la période la plus calme avec seulement 214 heures (17,99%).

«Cette distribution du temps de parole reflète le rythme du débat public que connaît chaque saison», explique le rapport. «Il s’élève dans le quatrième trimestre, parce qu’il coïncide avec l’entrée politique, sociale et culturelle inaugurée par l’ouverture de la session législative par Sa Majesté le Roi Mohammed VI, et qui continue avec la présentation, les discussions et l’adoption du projet de loi de finance, alors qu’il diminue au troisième trimestre, lequel coïncide avec la saison estivale».

Service public vs privé: deux approches, une même hiérarchie

L’étude comparative entre secteurs public et privé offre un éclairage intéressant, peut-on relever dans le rapport de la HACA. Les services publics, composés de sept entités, accordent davantage de temps d’antenne aux personnalités publiques (678 heures) que le secteur privé (509 heures pour 12 services).

Si la hiérarchie de présence des quatre catégories d’intervenants reste identique dans les deux secteurs, le rapport note «une montée en puissance des acteurs politiques dans le secteur public, comparée à une présence plus significative des acteurs professionnels dans les services privés».

Par ailleurs, 75,09% des interventions se font dans les magazines d’information, contre seulement 24,91% dans les journaux télévisés et radiophoniques.

Parité gouvernement-opposition: un équilibre en construction

Concernant l’équité d’accès aux magazines d’information du service public, le rapport révèle que «le gouvernement et la majorité ont occupé 55,25% du volume horaire annuel de temps de parole, contre 44,75% pour l’opposition», des chiffres proches de ceux de 2022.

Cette répartition, bien qu’imparfaite, témoigne d’un effort d’équilibrage notable, puisque la représentation officielle à la Chambre des Représentants était de 73,16% pour la majorité et 26,84% pour l’opposition au premier semestre 2023, puis 73,67% contre 26,33% au second semestre.

Le défi persistant de la parité hommes-femmes

Malgré une légère amélioration, la parité reste un objectif à atteindre. Les interventions des personnalités publiques féminines ont enregistré une augmentation, passant à 18,01% du volume global en 2023, contre 16,64% en 2022.

«L’article 10 de la décision du CSCA n° 20-18 dispose que les opérateurs de communication audiovisuelle œuvrent pour la mise en application du principe de parité entre les hommes et les femmes dans les programmes d’information», rappelle la HACA, indiquant implicitement que le chemin reste long.

Parmi les 213 heures de parole féminine, les actrices associatives dominent avec 56,63% du temps, devant les actrices politiques (30,92%), professionnelles (9,91%) et syndicalistes (2,54%).

Au-delà de la régulation: les principaux défis de l’audiovisuel marocain

Le rapport de la HACA aborde également d’autres enjeux cruciaux. La fragilité économique du secteur se confirme avec une baisse de 14,46% des produits d’exploitation des opérateurs, passant de 2,22 milliards de dirhams en 2022 à 1,89 milliards en 2023.

Les investissements dans la production audiovisuelle nationale ont toutefois augmenté de 6,19%, atteignant 829,5 millions de dirhams. Les séries et téléfilms représentent 24% de ces investissements (197,82 millions), avec une prédominance de la langue arabe (86% des productions).

Sur le plan technologique, la transformation numérique progresse: 88,7% des ménages sont équipés d’Internet, et 43,2% possèdent une Smart TV. La télévision reste le principal moyen d’information (67,3%), mais les réseaux sociaux gagnent du terrain (25,9%).

«Comme toutes les sociétés, la société marocaine est de plus en plus impactée par la place croissante que prennent les réseaux sociaux dans la vie quotidienne», constate la HACA, qui appelle à «une différenciation claire et rigoureuse entre des médias professionnels régulés et responsables et des plateformes de réseaux sociaux insuffisamment encadrées».

Face à ces défis multiples, l’instance de régulation reste optimiste: «La HACA demeure confiante dans la capacité de l’écosystème médiatique marocain à régénérer le lien de confiance entre les médias audiovisuels et leurs publics», conclut le rapport.