France

Affaire Evaëlle : « La professeur l’a fait pleurer »… Pour la première fois, une enseignante jugée pour harcèlement

Ce 21 juin 2019, lorsqu’elle rentre du collège, personne ne se doute de la tempête que traverse Evaëlle. L’adolescente de 11 ans au visage poupon, cheveux ondulés et lunettes rondes, agit comme à son habitude. Goûter, devoirs. Il y a bien ce petit accrochage avec sa mère en début de soirée : quelques pages de son cahier de liaison ont été arrachées. La fillette justifie ce geste par un moment d’énervement après qu’un camarade s’en est pris à elle. Selon son récit, ce dernier a renversé son sac à dos et jeté ses affaires au milieu de la cour de récréation, tout en l’insultant. Pourquoi n’en a-t-elle pas parlé à un adulte ?, lui reproche sa mère. Sans imaginer qu’une heure plus tard, elle retrouvera Evaëlle pendue à la mezzanine de sa chambre.

C’est un procès inédit qui s’ouvre ce lundi, pour deux jours, devant le tribunal correctionnel de Pontoise : celui d’une professeur de français soupçonnée d’avoir harcelé trois collégiens à Herblay, dans le Val-d’Oise. Dont la jeune Evaëlle. L’enseignante est soupçonnée d’avoir, si ce n’est créé, tout du moins entretenu un climat délétère dont la fillette a pâti. « La famille attend ce procès autant qu’elle le redoute, précise l’avocate de la famille d’Evaëlle, Me Delphine Meillet. Ils espèrent que la justice reconnaîtra la culpabilité de cette femme qui a confondu autorité et toute puissance. » Deux collégiens sont également renvoyés pour harcèlement.

Moqueries, insultes et violences

Pour comprendre cette affaire, il faut se replonger dans ses souvenirs, se rappeler que des broutilles aux yeux des adultes occupaient notre esprit d’enfant. Dès le CM2, l’institutrice d’Evaëlle constate que la fillette essuie les moqueries régulières de ses camarades. Mais tout s’accélère à son entrée en 6e, en septembre 2018. Dans les couloirs et la cour de récré, les humiliations sont quotidiennes. Les insultes pleuvent, ses copines refusent désormais de s’asseoir à côté d’elle.

En novembre, Evaëlle tente une première fois d’attenter à ses jours en mettant le feu à une poutre de la maison. Le collège est immédiatement prévenu, une liste d’élèves qui harcèle la fillette est transmise, l’adolescente est reçue par la directrice adjointe, mais le calvaire se poursuit. Empire, même. Début février, Evaëlle assure avoir été poussée par un élève sur la chaussée au moment où le bus arrivait. Plusieurs témoins en attestent.

« Un passe-droit pour s’en prendre à Evaëlle »

Les élèves ont-ils pu être influencés par le comportement de Pascale B., la professeur de français d’Evaëlle ? « Il ressort des témoignages que le comportement de l’enseignante a été perçu comme un passe-droit pour s’en prendre à Evaëlle », estime la juge d’instruction dans son ordonnance de renvoi. Plusieurs élèves témoignent de réflexions blessantes, humiliantes. Evaëlle était reléguée au fond de la classe, malgré des problèmes de vue. « Son comportement a donné un blanc-seing pour que les élèves s’en prennent à elle, cela a créé une forme d’impunité », estime Me Delphine Meillet.

Dix jours après l’histoire du bus, l’enseignante organise une séance de vie de classe, précisément sur le harcèlement dont est victime Evaëlle. Les remarques fusent, la fillette est en larmes. Au cours de l’enquête, plusieurs élèves ont confié aux enquêteurs avoir été mal à l’aise. « La professeur nous a demandé ce qu’il n’allait pas, ce qui nous dérangeait avec Evaëlle, la professeur a fait pleurer Evaëlle […]. Elle n’arrêtait pas de pleurer, après elle s’énervait contre Evaëlle parce qu’elle pleurait », raconte une élève. Même A., l’un des ados mis en examen dans cette affaire, estime que « ça ne se fait pas, on n’a pas à faire ça. » Dès le lendemain, Evaëlle est à nouveau violentée.

Changement d’établissement

Tout au long de l’instruction, l’enseignante n’a eu de cesse de nier toute malveillance. « Elle n’était pas stigmatisée pendant cette heure de vie de classe », a-t-elle assuré au cours d’une audition. Et d’insister : « Pour moi, cette heure de vie de classe s’est bien passée. Et sur les pleurs, […] quand Evaëlle a une frustration, elle pleure. » La professeur, qui se décrit comme « sévère mais juste », « très à l’écoute des élèves », nie avoir eu, envers Evaëlle ou quelque autre collégien, un comportement pouvant relever du harcèlement. Son dossier administratif était exemplaire mais plusieurs de ses collègues, à commencer par son ancienne proviseure, reconnaissent l’avoir vu s’acharner sur des élèves, les humilier publiquement.

Dans une des affaires, révélée par 20 Minutes en juin 2021, un collégien racontait les remarques déplacées et les humiliations quotidiennes. « Il faut retourner en CP », « tu es bête, tu es nul », « tu ne sers à rien » s’exclame-t-elle devant toute la classe… « C’était en boucle, chaque jour », insiste-t-il devant le juge. Depuis 2021, l’enseignante ne peut plus donner cours à des mineurs et a une obligation de soins psychologiques. Contactée, son avocate n’a pas donné suite à nos appels.

Une plainte et un changement d’établissement

Alertés après l’heure de vie de classe, les parents d’Evaëlle ont décidé de changer leur fille d’établissement et de porter plainte contre la professeur et trois ados. « J’ai tellement l’habitude de me faire insulter que, maintenant, je ne réagis plus. Je ne leur réponds pas car, de toute façon, j’ai déjà essayé de leur répondre, et ça ne sert à rien », confie alors Evaëlle aux policiers qui l’auditionnent.

Dans son nouvel établissement, la situation s’améliore jusqu’à ce que ses nouveaux camarades apprennent qu’elle a été harcelée. Les brimades reprennent. Jusqu’à ce 21 juin, goutte d’eau d’un vase déjà trop plein. La date de procès des deux adolescents également renvoyés dans ce dossier n’a pas été arrêtée.