Maroc

Blanchiment d’argent : 134 jugements rendus au Maroc en 2023, un record

Le Maroc a franchi en 2023 un cap décisif dans sa lutte contre le blanchiment d’argent. Comme le révèle le septième rapport annuel de la présidence du ministère public, rendu public le 6 mars, les efforts déployés ont permis au Royaume de sortir de la «liste grise» du Groupe d’action financière (GAFI), une reconnaissance internationale de l’efficacité de son dispositif anti-blanchiment. «Cette sortie de la liste grise représente le couronnement des efforts nationaux mobilisés par les différents secteurs concernés», souligne le rapport, précisant que cette décision a été prise «lors de la réunion plénière du GAFI tenue à Paris du 20 au 24 février 2023», après que les experts de l’organisation ont constaté «les réalisations accomplies qui confirment l’adéquation de notre système national avec les normes internationales».

Des chiffres record qui témoignent d’une mobilisation sans précédent

À ce propos, le document dresse un tableau exhaustif de l’évolution quantitative des affaires de blanchiment. Les données statistiques présentées dans le rapport illustrent une progression impressionnante. Le nombre d’affaires de blanchiment traitées a connu une évolution spectaculaire, passant de seulement 59 en 2018 à 821 en 2023. Cette augmentation s’est manifestée de façon constante, avec un bond significatif dès 2019 où 229 dossiers ont été traités. L’année suivante, en 2020, le chiffre a légèrement progressé pour atteindre 247 affaires, avant de connaître une accélération notable en 2021 avec 393 cas. La tendance s’est accentuée davantage en 2022, année record qui a vu 922 affaires traitées, avant un léger repli en 2023 avec 821 dossiers, chiffre qui reste néanmoins quatorze fois supérieur à celui de 2018. Cette courbe ascendante témoigne de l’intensification des efforts déployés par les autorités judiciaires marocaines dans la lutte contre ce fléau financier.

Publication de la 1re édition du Guide sur la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme

Cette «tendance à la hausse témoigne des efforts déployés par les parquets et les services de police judiciaire», souligne le rapport, qui note que «chacune des deux entités mentionnées assume désormais pleinement le rôle qui lui est assigné».

De 8 à 134 jugements : l’explosion des poursuites judiciaires en cinq ans

Le rapport fait également état d’une «évolution notable» du nombre de jugements rendus dans les affaires de blanchiment. La progression est particulièrement frappante lorsqu’on considère que durant toute la décennie 2008-2017, seulement 8 décisions avaient été prononcées en la matière. L’année 2018 marque un tournant avec 20 jugements rendus, suivie d’une accélération en 2019 qui a vu ce nombre grimper à 33. L’année 2020, marquée par la pandémie, a connu un ralentissement notable avec seulement 4 jugements, avant une reprise significative en 2021 avec 27 décisions.

Les deux dernières années témoignent d’une intensification sans précédent de l’activité judiciaire dans ce domaine, avec 85 jugements en 2022, puis un record historique de 134 décisions en 2023. Cette progression exponentielle, qui a multiplié par près de 17 le nombre annuel de jugements en cinq ans, reflète l’engagement croissant du système judiciaire marocain dans la répression du blanchiment d’argent. Qu’en est-il, par ailleurs, des sanctions prononcées ?

81% de condamnations : une justice efficace face au blanchiment d’argent

Justement, le document présente également une analyse détaillée des sanctions prononcées jusqu’au 31 décembre 2023. Sur l’ensemble des jugements rendus, les peines d’emprisonnement de un à deux ans constituent la catégorie la plus représentée avec 116 décisions, soit 37% du total. Les peines légères, inférieures à un an d’incarcération, suivent de près avec 108 cas, représentant 35% des jugements. Les acquittements, au nombre de 58, correspondent à 19% des décisions judiciaires. Enfin, les sanctions les plus sévères, supérieures à deux ans d’emprisonnement, demeurent minoritaires avec seulement 29 cas, soit 9% de l’ensemble. Cette répartition révèle une approche judiciaire où plus des deux tiers des condamnations (72%) se situent dans une fourchette modérée de moins de deux ans d’emprisonnement, tout en maintenant un taux de condamnation global de 81%, témoignant de l’efficacité des poursuites engagées.

Contexte et cadre stratégique de la lutte contre le blanchiment d’argent

La présidence du ministère public place le blanchiment d’argent parmi «les priorités de mise en œuvre de la politique pénale», consciente de «la gravité qui entoure ce type de crimes et ses conséquences désastreuses, tant sur le plan social qu’économique». Le rapport fait état d’une approche globale visant non seulement à poursuivre les auteurs de ces infractions, mais aussi à «les empêcher de profiter des fruits de leurs crimes» et à «protéger l’économie nationale des répercussions dangereuses de ces fonds non propres».

La nature même du crime de blanchiment d’argent, qui se caractérise par «la tentative de dissimuler l’origine illégale des fonds provenant du crime», en fait un défi particulier nécessitant des moyens d’investigation spécifiques et une coordination interinstitutionnelle renforcée, précise le document qui met en avant les différents mécanismes institutionnels et partenariats stratégiques signées à cette fin.

Partenariat Bank Al-Maghrib/ministère public : 341 demandes d’information traitées en 2023

Un des piliers de l’efficacité marocaine repose sur l’accord de partenariat signé le 31 mars 2022 entre la présidence du ministère public et Bank Al-Maghrib. Le rapport détaille le fonctionnement de ce mécanisme qui permet «au ministère public d’adresser des demandes d’information via un système informatique dédié, offrant des données précises dans un délai rapide». Les chiffres sont éloquents : «Les parquets spécialisés dans les affaires de blanchiment ont adressé 341 demandes qui ont toutes reçu une réponse précise», indique le rapport. Ce système a permis de «dépasser la circulation manuelle des documents et de réduire considérablement les délais», facilitant ainsi «la possibilité de mener des enquêtes dans des délais raisonnables».

Le rapport met également en avant la dimension internationale de la lutte contre le blanchiment. «Le caractère transfrontalier de ce crime rend difficile pour les autorités judiciaires l’appréhension des auteurs et le traçage des fonds liés», reconnaît le rapport. Face à ce défi, la présidence du ministère public a émis une circulaire datant du 1er août 2023, exhortant les procureurs «à valoriser les acquis nationaux et à veiller à leur préservation, notamment après la sortie du pays du processus de suivi renforcé». L’engagement international du Maroc s’est également manifesté par sa participation active à plusieurs événements clés en 2023.

Renforcement des capacités et formation spécialisée

Le rapport met en lumière les efforts déployés pour «développer les compétences des procureurs» à travers plusieurs programmes de formation au profit des magistrats sur le renforcement de la coopération judiciaire, sur l’investigation financière parallèle, sur la protection des lanceurs d’alerte et la lutte contre la corruption… «Cette approche de formation continue vise à garantir que les procureurs puissent suivre les évolutions des techniques de blanchiment et s’ouvrir aux expériences internationales», précise le document.

Perspectives et défis futurs

«Les procureurs généraux, aux côtés de l’ensemble des composantes de la justice pénale nationale, veillent à préserver cet acquis», affirme le rapport concernant la sortie de la liste grise du GAFI. Le ministère public s’engage à «continuer d’accorder l’importance requise au crime de blanchiment d’argent et aux infractions connexes» tout en «intensifiant les efforts pour y faire face efficacement», notamment à travers le renforcement continu des compétences et l’adaptation aux nouvelles formes de criminalité financière.

Le rapport conclut que cette mobilisation a «joué un rôle important dans la sortie du pays du processus de suivi renforcé», tout en soulignant la nécessité de maintenir cette dynamique pour protéger l’économie nationale des fonds d’origine criminelle. Les rédacteurs du rapport affirment que la lutte contre le blanchiment demeure «une priorité stratégique» pour le Maroc, qui entend «consolider sa position d’acteur régional engagé dans la préservation de l’intégrité du système financier international». n