Hausse des prix : les vraies raisons et les solutions possibles selon Abdelghani Youmni

La flambée des prix, particulièrement ceux des produits et denrées alimentaires, n’est pas une fatalité, selon Abdelghani Youmni, économiste et spécialiste des politiques publiques.
L’invité de Rachid Hallaouy à «L’Info en Face» du 6 mars n’y va pas par quatre chemins et propose même des solutions : des actions simples à mettre en place rapidement et d’autres un peu moins évidentes à installer, bien que tout à fait réalisables.
Mais avant cela, il a tenu à remettre les pendules à l’heure : La flambée des prix est également imputée à un «effet Ramadan», comme certains le suggèrent ? Faux, répond Abdelghani Youmni : «L’inflation des denrées alimentaires est structurelle et non conjoncturelle. Ce n’est pas une hausse passagère liée à une demande saisonnière accrue». Il cite en exemple l’augmentation continue du prix du poisson, qui suit une dynamique spéculative depuis 2022.
L’informel en cause ?
Vrai, répond Youmni. Le Maroc a adopté l’économie de marché depuis plusieurs décennies, un système basé sur la libre confrontation de l’offre et de la demande. Mais pour Abdelghani Youmni, ce modèle souffre d’une distorsion majeure : «Nous avons une économie duale, avec un secteur formel réglementé et un secteur informel qui fausse les règles du jeu». La présence de cette interconnexion forte entre l’économie informelle et le marché officiel réduit l’efficacité des mécanismes de régulation mis en place par l’État et favorise une volatilisation excessive des prix.
Intermédiaires et spéculation : les véritables responsables ?
Vrai, insiste Youmni. La flambée des prix n’est pas seulement une question d’offre et de demande. Selon notre invité, la structure du marché marocain souffre d’une prédation économique systémique : «La spéculation va du bas vers le haut de l’échelle sociale, et c’est un sport national». L’intermédiation excessive découple les prix des coûts réels de production. Ainsi, une tomate vendue à 4 dirhams le kilo au marché de gros peut se retrouver à 12 dirhams en détail. «Ce ne sont pas les agriculteurs qui s’enrichissent, mais bien les intermédiaires qui captent une valeur non créée», souligne l’économiste.
Le dernier kilomètre : un goulet d’étranglement ?
Un autre élément clé mis en avant par Youmni est la problématique du «dernier kilomètre», c’est-à-dire le segment entre le marché de gros et le consommateur final. «C’est à ce niveau que la captation de valeur atteint des sommets. Entre la sortie du marché de gros et l’étal du commerçant, les prix peuvent être multipliés par trois», explique-t-il. Il pointe du doigt un manque de régulation et une absence d’affichage obligatoire des prix, qui favorisent la spéculation.
La loi sur la liberté des prix : un cadre dépassé ?
Vrai, sous-entend Youmni. En 2014, le Maroc a adopté la Loi 104-12 sur la liberté des prix et de la concurrence. Or, selon notre économiste, cette loi, bien que fondée sur une logique libérale, reste inefficace face aux abus systémiques du marché. «Un régime de liberté des prix sans mécanismes de surveillance rigoureux revient à livrer les consommateurs aux mains des cartels», prévient-il.
Importations alimentaires : un facteur aggravant ?
Vrai, répond notre spécialiste. Et pour cause, le Maroc affiche un déficit commercial de 306 milliards de dirhams en 2024 (+7,2% par rapport à 2023). Cette dépendance aux importations accentue la vulnérabilité économique du pays. «Nous importons des produits agroalimentaires que nous pourrions parfaitement produire localement», déplore Youmni.
Les importateurs jouent-ils un rôle dans la crise actuelle ?
L’économiste est sans équivoque : «Il existe un déficit de patriotisme économique. Certains privilégient l’importation pour maximiser leurs marges plutôt que d’investir localement». Il illustre ce phénomène par la surreprésentation des produits turcs et égyptiens, favorisée par des accords commerciaux déséquilibrés.
Sont-ils alors des partenaires commerciaux à réévaluer ? Oui, laisse entendre notre expert : «Nous sommes déficitaires de 2 milliards de dollars avec la Turquie et d’un milliard avec l’Égypte. Ces accords ne nous sont pas favorables», affirme-t-il. Il met en avant la politique agressive de ces pays, qui profitent des faibles coûts de main-d’œuvre et des dévaluations monétaires pour inonder le marché marocain avec des produits à bas prix.
L’économiste souligne que ces importations massives nuisent à la production locale et détruisent des emplois : «Nous avons des secteurs comme le textile et l’agroalimentaire qui souffrent directement de cette concurrence déloyale». Il plaide pour une renégociation des accords de libre-échange en faveur d’un modèle plus équilibré, où les producteurs marocains bénéficieraient d’un transfert de savoir-faire et d’investissements directs. Youmni insiste également sur l’urgence d’une stratégie industrielle nationale : «Il faut encourager la production locale en imposant des quotas de fabrication aux entreprises étrangères qui veulent exporter vers le Maroc». Pour lui, c’est la seule voie permettant de sortir du cercle vicieux de l’importation massive et de la destruction des capacités productives nationales.
Quelles solutions pour contrer cette flambée ?
Globalement, Abdelghani Youmni préconise :
• Une transparence des prix : Imposer l’affichage systématique des prix dans tous les marchés, y compris populaires.
• Une plateforme numérique de référence : Mettre en place un système dynamique permettant aux consommateurs de suivre l’évolution des prix en temps réel.
• Une régulation des marges : Introduire un encadrement des marges bénéficiaires entre marché de gros et détail.
• Une renégociation des accords de libre-échange : Favoriser les investissements directs étrangers mixtes pour renforcer l’industrie locale.
• Une stratégie industrielle qui encourage la production locale et qui impose un quota de fabrication locale aux entreprises étrangères qui veulent exporter vers le Maroc.