Procès Le Scouarnec : « J’ai tellement honte pour ma profession »… La fillette devenue chirurgien face à son agresseur

A la cour criminelle du Morbihan, à Vannes,
« Vous vous souvenez que ma mère était enceinte de moi, du grand jardin de mes parents au pied des remparts de Loches. Et vous soutenez que vous ne vous souvenez pas de l’enfant que j’étais et de ce que vous avez fait sur moi ? » Debout à la barre de la cour criminelle du Morbihan, Nathalie* regarde Joël Le Scouarnec droit dans les yeux. « Non, je ne m’en rappelle pas et je le dis sincèrement, répond l’accusé, tout penaud dans son box. Si je m’en souvenais, je vous le dirais ». Jeudi en fin de journée, la confrontation entre le pédocriminel et sa victime glace toute l’assistance. Comme celles avec les trois autres femmes entendues précédemment lors de la première journée d’audition des parties civiles.
Notre dossier sur le procès Le Scouarnec
Nathalie n’avait que 2 ans et demi en 1989 quand elle a été agressée sexuellement par l’ex-chirurgien, qui était alors en poste dans la clinique de cette petite ville d’Indre-et-Loire. Tout comme le père de la fillette, qui travaillait comme médecin dans le même établissement. Collègues de boulot, les deux hommes se voyaient en dehors avec leurs épouses, s’invitant mutuellement l’un chez l’autre. « On n’était pas réellement amis mais il nous est arrivé de les recevoir et d’être reçus chez eux », raconte Joël Le Scouarnec. C’est lors d’une de ses réceptions que le pire pédocriminel jamais jugé en France est passé à l’acte sur la fillette. Ce dont il ne souvient pas, tout comme la presque quadragénaire.
Ses parents étaient-ils au courant ?
Comme tant d’autres victimes, c’est par un coup de fil des gendarmes en 2019 que Nathalie a appris que son nom figurait dans les carnets noirs du monstre en blouse blanche. « Mes parents m’avaient dit qu’il n’y avait que deux lignes me concernant dans les carnets, que cela ne valait pas la peine de briser notre famille pour deux lignes », se souvient-elle. En découvrant la teneur des écrits de l’ancien collègue de son père, la mère de famille est « dévastée ». « Je suis restée quarante-huit heures dans mon lit sans pouvoir en sortir ni m’occuper de ma fille », raconte-t-elle, la gorge nouée.
Elle questionne alors ses parents pour tenter de comprendre pourquoi son nom figurait dans les journaux intimes de Joël Le Scouarnec. « Ils ont toujours nié en bloc, poursuit-elle. Mais je les soupçonne d’avoir eu des doutes et de n’avoir rien dit ». Depuis ces horribles révélations, sa famille est « brisée » et sa confiance en ses parents « anéantie ». « Je ne les vois plus et je refuse de leur confier mes filles », lâche-t-elle.
« Un enfant, c’est la pureté »
La découverte de son agression a également eu un impact fracassant sur sa brillante carrière et continue de l’avoir. « Et je ne pense pas que ça me quittera ». Car, coïncidence terrible, Nathalie exerce comme chirurgien. Comme son agresseur. « A chaque fois que j’opère un enfant, j’y pense, confie-t-elle péniblement. Quand je vais en salle de réveil, en salle d’hospitalisation, j’y pense tout le temps ». Son regard sur ses collègues masculins a aussi inéluctablement changé. « Instinctivement, à chaque fois que je verrai un chirurgien homme entrer dans la chambre d’un enfant, j’aurai un doute ».
Avant de poursuivre : « J’ai tellement honte pour ma profession. Un enfant, c’est la pureté. Personne n’a le droit de toucher à des enfants, encore moins à des enfants malades. Il n’y a pas de mot, c’est immonde ! Et que ce soit fait par quelqu’un dont le métier est de prendre soin de l’autre, c’est infâme ! ».
La tête rentrée dans les épaules, Joël Le Scouarnec écoute sans ciller le témoignage fort de sa victime. Avant de tout reconnaître quand on lui donne la parole : « Ce que j’ai commis sur elle quand elle avait 2 ans a eu un impact considérable. Et quand je commettais ces actes, je n’aurais jamais pu imaginer que ça puisse avoir un tel impact. Je ne pouvais pas et ne voulais pas l’imaginer. J’en ai aujourd’hui pris la mesure ». Son procès doit se tenir pendant quatre mois à Vannes. L’ancien chirurgien viscéral encourt une peine maximale de vingt ans de prison.
* Le prénom a été modifié à la demande de la victime.