Journée des droits des femmes : Entraide, safe place, « pas de chichi »… La non-mixité féminine au travail séduit

Il n’y a pas mâle qui vive. Dans les locaux des Epaulettes, « on travaille depuis le début en non-mixité » féminine, affirme fièrement Celisiane Rosius, fondatrice de la start-up. La Marseillaise travaillait au départ « dans le mentoring digital », et s’est rendu compte que les profils de patrons qu’elle accompagnait se ressemblaient beaucoup : « Pour caricaturer, des hommes blancs de plus de 50 ans ».
En 2019, elle décide alors de changer les règles du jeu et créé sa structure pour « faire du digital un levier pour l’égalité femme-homme ». L’engagement est clair : former des femmes, et « ne faire bosser que des femmes formatrices ». Aujourd’hui, les Epaulettes sont gérées par une équipe de cinq femmes, organisant des ateliers avec quinze formatrices. Cet entre-soi féminin facilite beaucoup la vie d’entreprise, pour Celisiane Rosius. « On s’est organisé naturellement en semaine de quatre jours. Celles qui ont des enfants à récupérer peuvent ainsi partir à 15h30 sur cinq jours. Le congé menstruel n’a pas été un sujet non plus. »
« Il n’y a pas de chichi »
Cofondatrice d’une marque de vêtements de sport pour femme, Sabine Thouvenin travaille également dans un milieu exclusivement féminin « sans vraiment l’avoir choisi ». Mais « c’est très agréable », admet-elle. Avec son amie et associée, « on se comprend sur des évènements de vie, comme l’endométriose qui peut empêcher de travailler certains jours ». Quant au studio de deux photographes avec lesquelles elles collaborent, « quand on arrive chez elles, il n’y a pas de chichi, les relations sont plus naturelles, moins cadrées ».
Des discussions tout aussi fluides avec les gérantes de club de pole dance, « souvent des femmes », avec qui elles collaborent. « On se parle franchement des besoins et des problèmes, on n’est pas dans une négociation à l’ancienne. On est entre femmes qui ont créé leur entreprise, on connaît les difficultés et on a envie de s’entraider. »
Entreprendre au féminin
L’entraide entre entrepreneuses, une notion au cœur du réseau Les Premières. En Martinique, l’incubateur a accompagné 80 femmes depuis janvier 2022 « à devenir actrices de leur destin et de leur territoire », compte Béatrice Pelage-Valère, présidente de la structure. Les Premières Martinique proposent ainsi un module pour « faire entendre sa voix en tant que femme dans un milieu masculin ». L’accès au crédit est également abordé. « Même en remplissant tous les critères, il faut toujours que le dossier soit trois plus solide que pour un homme », critique Béatrice Pelage-Valère, qui pointe aussi « des questions sur la famille, les enfants » qui entrent toujours en ligne de compte de manière inégale.
Les femmes qui se lancent dans l’entrepreneuriat bousculent encore des habitudes. Celisiane Rosius explique devoir justifier son choix de travailler en non-mixité « auprès de 80 % des hommes, alors que les femmes ne me posent jamais la question ». D’ailleurs, « quand on voit quatre hommes associés, on ne leur demande jamais pourquoi il n’y a pas de femme ».
Libérer la parole
« Pour beaucoup, les femmes qui poussent nos portes ont été déçues des structures mixtes car elles n’ont pas trouvé d’oreille attentive à leurs problématiques propres », reprend Béatrice Pelage-Valère. Se mettre dans un réseau non-mixte, c’est se donner la chance « d’être mieux entendue et donc plus efficace ». A Marseille, les Epaulettes ont aussi constaté l’importance de l’écoute chez les femmes accompagnées.
« On organise des évènements chaque mois, en dehors des formations. Au départ, ce n’était pas pensé en non-mixité, mais deux fois on a eu un homme inscrit sur 40 à 60 participantes. Les femmes se sont plus censurées, donc on a fermé ces évènements », raconte Celisiane Rosius, assumant le terme de « safe place » dans ce cadre professionnel. De même, travailler avec des femmes photographes ou stylistes permet de créer « un écosystème convivial qui permet de faire tomber les tabous » pour les clientes de Sabine Thouvenin, qui « se changent devant nous quand elles essaient » les vêtements de la marque.
Des limites ?
Travailler en entre-soi féminin a tout de même quelques inconvénients. « On peut s’enfermer dans un modèle où on est moins challengées », évoque Celisiane Rosius, qui émet le risque de « reproduire les mêmes biais que les conseils d’administrations à 90 % masculins ». Travaillant dans le monde du pole dance, « il y a parfois des restes de compétition féminine malsaine, car on a été éduquées comme ça », remarque Sabine Thouvenin.
Notre dossier sur la journée internationale des droits des femmes
Plus philosophe, Béatrice Pelage-Valère estime que « les femmes se mettent des freins elles-mêmes ». « Les femmes n’ont pas peur d’échouer mais de réussir, car réussir c’est prendre une place que la société ne nous donne pas complètement aujourd’hui. Donc il va falloir aller se battre pour avoir cette place, et on n’est pas toutes prêtes à ça. » Mais finalement, c’est là que le réseau féminin reprend tout son sens. « Quand on vacille, les autres femmes viennent nous aider, jusqu’à ce que ça soit le tour d’une autre de vaciller. » Et au final, de réussir ensemble.