« C’étaient des malades »… Après Bétharram, ces élèves de Saint-Pierre du Relecq-Kerhuon révèlent les coups de leurs profs
Beaucoup avaient enfoui ça au fond d’eux. Et puis tout a ressurgi quand les premières révélations d’abus perpétrés au sein du collège-lycée de Notre-Dame-de-Bétharram ont éclaté. « J’avais tenté d’oublier cette histoire. Ça fait plus de quarante-cinq ans que j’ai quitté ce collège. Mais ça a tout fait remonter à la surface. Mes souvenirs reviennent au fil des notifications WhatsApp ». Didier Vinson fait partie des anciens élèves du collège Saint-Pierre du Relecq-Kerhuon. Cet établissement pour garçons, situé tout près de Brest, dans le Finistère, a changé de nom depuis qu’il a été absorbé au sein de l’établissement Saint-Jean-de-la-Croix. Mais ses anciens élèves n’ont pas oublié la terreur qui régnait dans ce collège réputé pour « redresser » les garçons turbulents.
Après les révélations de Bétharram, ils se sont unis au sein d’un collectif, qui échange sur un fil WhatsApp particulièrement actif depuis sa création, il y a une semaine. « Ça me remue de parler de tout ça. Mais ça me prouve aussi que je n’ai pas rêvé. Que tout ce que j’ai vu, tout ce que j’ai subi, c’était une réalité ».
Didier a passé trois ans à Saint-Pierre, entre 1978 et 1980. Ses parents l’avaient inscrit là pour tenter d’améliorer ses résultats scolaires. De nombreuses familles ont fait de même à l’époque, si bien que l’établissement en avait fait sa réputation. « On appelait ça le « collège des 4 bras » ou des « Frères tapent dur ». Les gens savaient ce qu’il s’y passait, mes parents savaient ».
Devenu comédien, cet homme aujourd’hui âgé de 61 ans dépeint le climat de terreur que faisaient régner les professeurs. Mais surtout les violences que subissaient les élèves, frappés dès qu’ils faisaient un pas de travers. « C’étaient des malades. On prenait de véritables mandales devant tout le monde. Je me souviens d’un prof qui mettait des grands revers de la main avec sa chevalière. Quand il reboutonnait sa veste, on savait ce qui allait se passer. Ils ont bousillé des gamins, ils ont détruit des vies. Certains se sont foutus en l’air ».
« Ils nous démolissaient quand ils en avaient envie »
Inscrit à Saint-Pierre au début des années 1970, Joël décrit les mêmes gestes, perpétrés par les mêmes hommes quelques années plus tôt. « Ce n’étaient pas des profs. Je me demande même s’ils avaient leur bac. Beaucoup étaient sadiques, ils nous démolissaient quand ils en avaient envie. Pour une rature, une tache d’encre, un bavardage ou un devoir qui n’était pas fait ». Comme tous les autres, Joël cite les noms des pires bourreaux. Un certain monsieur A., toujours vivant, mais aussi le père L., aujourd’hui décédé. Ancien aumônier d’un commando de parachutistes, c’est lui qui faisait régner la terreur et « recrutait » ses hommes de main. A priori, pas vraiment pour leurs compétences pédagogiques.
« Mes parents, je leur avais dit ce qu’il se passait. Mais tout le monde fermait les yeux. Parce que s’ils disaient quelque chose, on leur répondait que c’était normal. Et que s’ils n’étaient pas contents, ils n’avaient qu’à reprendre leur enfant », raconte Joël, toujours très amer depuis son passage dans l’établissement.

Au Relecq-Kerhuon, il n’y avait pas d’internat, contrairement au collège-lycée de Bétharram. Autre différence notoire : aucune agression de nature sexuelle n’a été décrite par les personnes que nous avons interrogées. Frédéric a la particularité d’avoir cumulé les deux expériences. Inscrit à Bétharram quand sa mère travaillait à Biarritz, celui qui est aujourd’hui retraité était rentré en Bretagne quand sa maman avait perdu son job. Il avait atterri à Saint-Pierre. « Je me souviens surtout du silence total. Et parfois, des cris des gens qui se faisaient frapper. Les profs distribuaient des gifles, des coups de pied, ils balançaient leur boîte de craies ou la brosse en bois qui servait à essuyer le tableau. J’ai même vu un gars avec un compas planté dans l’épaule », raconte cet homme aujourd’hui âgé de 64 ans.
« Plusieurs anisettes pendant la récré »
Il se souvient que plusieurs enseignants « courraient » au bistrot d’en face à chaque récréation. « Ça ne durait qu’une quinzaine de minutes, mais ils avaient le temps de s’envoyer plusieurs anisettes ». Selon Frédéric, les « torgnoles » étaient surtout infligées au moment de la remise des notes. « On était mis à genoux sur une règle carrée en bois, on mettait les mains dans le dos et eux, ils distribuaient ».
Les trois hommes ne sont pas les seuls à décrire de tels sévices. Depuis les premières révélations, de nombreux anciens élèves ont accepté de témoigner des violences subies. « Nous étions paralysés de peur. Tout le monde savait. Nous n’osions pas en parler à nos parents », explique l’un d’entre eux. « J’ai été hanté toute ma vie par les coups que nous recevions. Nous n’étions pas des voyous », affirme un autre. Une cinquantaine d’anciens livrent chacun leur récit glaçant de « coups de pied dans la gorge » ou de coups « avec un trousseau de clés jusqu’au sang ».
Notre dossier sur l’affaire Bétharram
Ces faits, l’institution catholique les reconnaît globalement mais tend à les minimiser, cherchant sans doute à préserver la réputation de l’établissement. « À l’époque, l’ancien collège Saint-Pierre accueillait des garçons dits « difficiles », dans un cadre éducatif bien différent des références actuelles. Ces réalités appartiennent à un passé extrêmement éloigné de nos valeurs d’aujourd’hui », a fait savoir la directrice de l’établissement dans un message adressé aux parents d’élèves. « Le bâtiment et l’institution d’antan ont disparu. Le collège actuel n’a plus aucun lien avec ce que fut Saint-Pierre autrefois », ajoute-t-elle, condamnant « avec la plus grande fermeté » ces violences.
Interrogé par Ouest-France, le directeur diocésain du Finistère a également confirmé les faits. « Ce collège était connu pour être plus un établissement de redressement, assez dur, qu’un établissement éducatif. Ça ne justifie en rien les violences. Mais à cette époque, des familles y mettaient leur enfant car elles étaient démunies ».
Les faits étant prescrits, toute action judiciaire semble écartée par les victimes. Ces dernières espèrent tout de même obtenir « des excuses » de la part de l’enseignement catholique. « Il y a eu des élèves torturés, des actes de barbarie. J’aimerais qu’on arrête de nous dire que c’était une autre époque et que notre statut de victime soit reconnu », affirme Frédéric. Le collectif qui s’est créé aimerait aussi obtenir l’imprescriptibilité des faits de violences commis sur des enfants. La loi française établit le délai de prescription à six ans.