France

JO 2024 : « Sac à foutre », « juif dégénéré »… Prison avec sursis requise contre les harceleurs de Thomas Jolly

Au tribunal judiciaire de Paris,

« Sac à foutre », « juif dégénéré », « tantouze »… Des injures à caractère homophobes et des menaces de mort, Thomas Jolly en a reçu des milliers après la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris qu’il a orchestré l’été dernier. « Il en a fait des cauchemars, il regardait en permanence autour de lui », explique son avocate, Patricia Moyersoen. Le directeur artistique de cet événement planétaire s’était décidé a déposé plainte le 30 juillet 2024. L’enquête a été confiée aux gendarmes de l’Office central de lutte contre les crimes contre l’humanité et les crimes de haine. Les investigations ont permis d’identifier sept personnes qui ont été interpellées entre les 22 et 24 octobre en région parisienne, dans l’Hérault et les Alpes-Maritimes.

Quatre mois et demi après, les prévenus ont été sommés de s’expliquer, ce mercredi, devant la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris. Six hommes et une femme, âgés de 22 à 79 ans, aux profils très différents. Tous ont, en revanche, pour point commun, d’avoir été heurtés par l’un des 12 tableaux de la cérémonie qui s’est déroulée le long de la Seine le 26 juillet dernier. Intitulé « Festivés », il mettait en scène « plusieurs drag-queens célèbres » assises devant une table sur laquelle est allongé le chanteur Philippe Katerine, bleu et nu, rappelle la présidente du tribunal. La séquence, poursuit la magistrate, a très vite suscité une « vague de messages de haine » provenant des « milieux conservateurs et d’extrême droite ». Ils estimaient qu’il s’agissait d’une « parodie moqueuse du dernier repas de Jésus Christ avec les apôtres ». Les prévenus sont accusés d’avoir apporté leur pierre à cet édifice haineux.

Antoine C.

Âgé de 22 ans, le jeune homme a été le candidat suppléant de Reconquête aux dernières législatives dans la 5e circonscription de l’Hérault. En perquisitionnant le logement de cet étudiant en droit, les enquêteurs ont découvert « des flyers et des autocollants de mouvements patriotiques et religieux », détaille la présidente du tribunal. « Je respecte le droit de blasphémer, ce n’est pas le côté religieux qui m’a énervé », assure le prévenu, pull col roulé noir, jean gris, et carrure d’armoire à glace. Il a adressé un message privé à Thomas Jolly sur Instagram. « Sac à foutre », « Dieu ne t’oubliera pas ». « Voir des hommes nus à côté d’enfants de 7, 8, 9, 10 ans, ça m’a révolté », clame-t-il. « Thomas Jolly a un réel talent artistique mais je ne voyais pas l’intérêt de mettre en avant des enfants », poursuit-il, qualifiant cet événement de « malsain ». Célibataire, celui qui veut travailler plus tard dans « la protection des enfants » dit qu’il « regrette » ce message « intimidant ». « Je l’ai blessé, certaines personnes ont été blessées par Thomas Jolly. J’espère qu’il se repentira dans le sens religieux ».

« Les gens qui viennent vous expliquer qu’ils ont vu des enfants aux côtés d’hommes nus, ça n’existe pas », souligne Me Patricia Moyersoen, l’avocate de Thomas Jolly. La procureure a requis à son encontre une peine de 500 euros d’amende pour l’injure, et de 3 mois de prison avec sursis pour le harcèlement du metteur en scène, assortie d’un stage de citoyenneté. Son avocat, Me Philippe Capsie, estime que l’affaire a pris une ampleur qui n’a pas lieu d’être. Il estime que son client doit être relaxé, notamment car il n’avait pas conscience de prendre part, avec d’autres, au cyberharcèlement de l’artiste.

Pierre H.

Barbe, cheveux courts, pull et pantalon noir, Pierre H., 32 ans, n’a pas aimé le tableau qui, selon lui, se moquait de la Cène. « Tu vas payer pour avoir manqué de respect à notre seigneur Jésus Christ », a-t-il écrit sur les réseaux sociaux à Thomas Jolly. « Le message ne veut pas dire grand-chose, il n’est pas très malin », reconnaît-il aujourd’hui. Son intention était « lui faire comprendre » qu’il n’avait « pas aimé » cette partie de la cérémonie. « Je suis quelqu’un d’assez sage, avec un caractère posé, quelqu’un qui aime discuter, peu importent les ethnies ou les origines », poursuit-il, ajoutant que « chez les chrétiens catholiques, on est dans la paix et l’amour ». « Un artiste fait ce qu’il veut, je ne juge personne, j’ai juste donné mon avis », estime le prévenu, précisant qu’il aurait dû « formuler » son message différemment.

Thomas Jolly n’a « à aucun moment voulu représenter la Cène du Christ dans son tableau, ça n’a jamais été son idée », insiste l’avocate du metteur en scène. « Il faut réaliser que le CIO interdit toute référence religieuse dans les cérémonies des Jeux olympiques. C’est tout simplement interdit ! » Il s’agissait, dit-elle, d’une « référence aux fêtes païennes ». La procureure a demandé à son encontre une peine de 6 mois de prison avec sursis, assorti d’un stage de citoyenneté à effectuer. L’avocate de Pierre H., Me Ilene Choukri, affirme que son client n’a pas « participé à cette chaîne pernicieuse sachant qu’il tient un seul et unique propos, qu’il ne le répète pas ». « Il ignore tout des autres contenus haineux recensés dans le cadre de l’enquête », ajoute-t-elle. Son message, envoyé en privé sur Instagram, « est mal exprimé, mal dit, mais il n’y a aucune intention malveillante ». Elle demande la relaxe du jeune homme.

Lucien T.

Veste de chasse verte, les cheveux grisonnants, Lucien T. est addict aux réseaux sociaux, le terrain de jeu préféré de son double maléfique. Cet homme de 76 ans a géré plusieurs comptes sur X qui ont depuis été suspendus. « Je ne sais pas pourquoi », bredouille-t-il. La présidente lui rafraîchit la mémoire. « Parasites africains », « bamboulas », « bandes de PD »… Il est « possible », reconnaît-il, que ces propos tenus dans des messages antérieurs à l’affaire aient pu justifier la fermeture de ses comptes. Après la cérémonie d’ouverture, il a traité le directeur artistique de Paris 2024 de « juif dégénéré qui s’attaque aux milliards de chrétiens dans le monde ». « Si j’ai fait du mal à Thomas Jolly, je demande pardon », explique ce retraité qui a cessé de lire la presse pour s’informer uniquement sur les réseaux sociaux. Thomas Jolly est juif ? « C’était écrit sur Twitter. » A la barre, ce « bouddhiste catholique » s’excuse d’avoir fait cette « grosse bêtise ».

La procureure requiert à son encontre 6 mois de prison avec sursis et la suspension des comptes d’accès à des services en ligne pour une durée de 3 mois. « Il n’a pas agi dans le cadre d’un raid numérique », insiste son avocate, Me Chloé Romagne. « Il n’avait pas l’intention d’être lu par M. Thomas Jolly, il est très loin d’imaginer qu’il peut l’être. » Elle décrit son client comme un célibataire sans enfant, rongé par la solitude, et dont l’histoire est « assez compliquée ». Il est « timide », « vulnérable », n’a que « peu de relations sociales » et vit dans la « paranoïa ». Il passe peut-être 7 heures par jour à scroller son fil d’actualité sur X. Une activité qu’il a du mal à contrôler depuis la crise sanitaire. Elle demande l’indulgence du tribunal.

Léo J.

Pull blanc, cheveux courts, fine barbe, Léo J. était au Pérou lors de la cérémonie d’ouverture des JO de Paris 2024. Lui aussi a été « dérangé », « choqué », par le tableau mettant en scène Philippe Katerine et des drag-queens. « Corde + cou = réparation de ton acte immonde », a-t-il écrit à Thomas Jolly sur Instagram. Un message « perçu comme une menace de mort », regrette le jeune homme de 32 ans. « Ce n’était pas mon intention, je ne suis personne pour menacer quelqu’un de mort. C’est un message rédigé sous le coup de la colère », se justifie-t-il. « Maladroitement j’ai voulu faire comprendre à ce monsieur que ces scènes n’étaient pas appropriées à la cérémonie et aux Jeux olympiques. » Il voulait signifier au metteur en scène qu’ « il pouvait avoir honte de lui ». « Mes mots ont dépassé ma pensée. »

La procureure requiert à son encontre une peine de 6 mois de prison avec sursis, assortie de l’obligation de participer à un stage de citoyenneté. Pressé d’aller prendre son avion, son avocat, Me Phillippe Sanseverino a, en substance, expliqué qu’ « au fin fond de la France », les « gens » sont « peut-être un peu conservateurs », « sensibles », « prudes ». Et que, contrairement aux Parisiens, ils ont pu être interloqués par cette « scène peu banale » qu’ils « ne comprennent pas ». « Une scène avec des drag-queens qui dansent, on n’en voit pas tous les jours. » « Il y a des termes inacceptables, mais pas ceux de mon client », ose-t-il. Selon lui, son client a voulu dire à Thomas Jolly « va te pendre », ce qui, en Niçois, voudrait dire « va te faire voir ». « La relaxe dans ce dossier est imparable, veut-il croire. Ce qu’il a fait n’est pas une infraction pénale. »

Cécile B.

Cheveux gris et courts, pull noir, Cécile B. a du mal à contenir son émotion à la barre. « Ce n’était pas ce que je voulais et je suis vraiment désolé », dit-elle en pleurant. Cette femme de 57 ans a envoyé un message à Thomas Jolly contenant des émojis qui vomissent. « T’as pensé à Charlie hebdo ??? !!! J’espère que tu auras au moins la décence de verser ton salaire à des associations qui en ont besoin. » Mère de deux enfants majeurs, Cécile B. est divorcée depuis trois ans. Souffrant de problèmes de santé, cette ancienne auxiliaire de vie a arrêté de travailler il y a un an et demi. « La vie est dure en ce moment », souffle-t-elle, se disant « désolée » pour le directeur artistique victime de cyber harcèlement.

La procureure a demandé à son encontre une peine de 3 mois de prison avec sursis, assorti d’un stage de citoyenneté à effectuer. L’avocat de Cécile B., Me Alexandre Thirion, plaide la relaxe de sa cliente, poursuivie pour harcèlement, car elle n’a envoyé qu’un seul message à Thomas Jolly. Il souligne auprès du tribunal la « situation personnelle et familiale dramatique » de la quinquagénaire.

Tommy P.

Devant les enquêteurs, Tommy P., 24 ans, a reconnu avoir fait « une connerie ». Le Monégasque, qui travaille comme mécanicien pour son père, a prévenu Thomas Jolly qu’il lui ferait « payer » son audace créative. Dans un message envoyé sur X, il promettait de lui « piétiner la tronche » s’il le croisait dans la principauté. « FDP avec tes travelos vous ne respectez rien ni personne », ajoutait-il. Ce mercredi, le prévenu, qui souffre du dos, était absent au tribunal. La présidente se contente de lire les explications livrées par le jeune homme aux gendarmes durant sa garde à vue. Il déplorait alors le « manque de respect » du metteur en scène « envers les chrétiens ». « C’était pour le piquer de la même façon que j’ai pu l’être », expliquait-il aux militaires. Il avait reconnu que ce n’était « pas la bonne façon de réagir ». « Mes mots ont dépassé ma pensée sous le coup de l’énervement ». Il aurait souhaité que Thomas Jolly s’excuse auprès des « gens qui se sont sentis insultés ».

La procureure requiert à l’encontre de ce père de trois enfants une peine de 8 mois de prison avec sursis, assortie de l’obligation de participer à un stage de citoyenneté. Il a « agi avec impulsivité », plaide son avocate, Me Yasmina Nichhihne. Selon elle, son client n’a participé à aucun « raid numérique ». « Il n’avait absolument pas connaissance que des messages de haine ont été envoyés » à Thomas Jolly dont il ignorait « le nom, les orientations sexuelles, la religion ». « Il n’aurait pas dû répondre de la sorte », dit-elle, ajoutant qu’il exprime des « regrets ». Mais il n’avait « pas l’intention de mettre à exécution de menace délictuelle ». Elle demande la relaxe de Tommy P qui est poursuivi pour menace de mort, et une dispense de peine s’il devait être condamné pour harcèlement.

Patrick D.

De tous les prévenus jugés ce mercredi, Patrick D. est le doyen. Âgé de 79 ans, il était absent à l’audience. Le septuagénaire avait écrit sur X que Thomas Jolly est une « tantouze ». « Il est en couple avec un mec, la bande à Macron. » « Je te pisse dessus comme un chien car tu es un chien », ajoutait-il. Devant les enquêteurs, celui qui se présente comme un « artiste plasticien, un inventeur, un chercheur », dénonçait « un spectacle pédocriminel », « une injure à la religion catholique », « une mise en scène satanique ».

Le prévenu n’a pas souhaité être représenté par un avocat. La procureure remarque que Patrick D. « persiste et signe » en garde à vue. Elle requiert à son encontre 8 mois de prison avec sursis et la suspension des comptes d’accès à des services en ligne pour une durée de 5 mois

La décision sera rendue le lundi 5 mai 2025 à 13h30.