Guerre en Ukraine : Pourquoi la petite phrase de J.D. Vance sur le niveau des armées française et anglaise passe mal

«De quelconques pays qui n’ont pas fait la guerre depuis 30 ou 40 ans. » En tentant de mettre la pression sur l’Ukraine pour la signature d’un accord sur les minerais, le vice-président J.D. Vance s’emporte en évoquant le soutien européen, notamment la France et le Royaume-Uni, dont les « 20 000 soldats » ne suffisent pas selon lui à assurer la sécurité de l’Ukraine.
Une déclaration prise comme une insulte outre-Manche, sur laquelle il a depuis rétropédalé, mais qui révèle surtout le mépris américain pour les armées européennes, alors que la France et le Royaume-Uni se sont engagés à plusieurs reprises aux côtés des Etats-Unis au cours des dernières décennies.
Une petite phrase qui ne passe pas…
« L’Irak en 90-91, la Bosnie en 95, la Serbie en 99, la Libye en 2011… » De tête, le colonel Michel Goya, auteur de « La guerre mondiale de la France », évoque les opérations françaises auxquelles la France a participé aux côtés des Etats-Unis. « Des centaines d’opérations », qui montrent selon lui la maturité de l’armée française, bien loin des provocations du vice-président américain, à qui il a répondu sur X :
« Cher vice-président, les 791 soldats britanniques et français qui sont morts en Irak et en Afghanistan aux côtés des Américains vous emmerdent d’où ils se trouvent. »
Pour Jean-Dominique Merchet, journaliste à l’Opinion et spécialiste des questions militaires, cette réaction épidermique est tout à fait justifiée :
« Il faut faire très attention quand on évoque le vécu de la guerre, qui est toujours ressenti comme intense. Allez dire à un soldat qui est pris sous le feu ennemi ou dont le véhicule explose sur une mine que ce n’est pas de la « haute intensité ». »
L’auteur de « Sommes-nous prêts pour la guerre ? » le concède, cela fait longtemps la France ne fait plus la guerre à « haute intensité » comme peuvent le vivre les Ukrainiens, et « heureusement » ajoute-t-il. Mais c’est aussi parce que les opérations dans lesquelles nous sommes engagées n’ont pas les mêmes objectifs. Ce n’est pas la même chose de « traquer des djihadistes que de combattre l’armée russe ».
Pour le journaliste, la France combat sans interruption depuis les années 60, et il suffit de se rapporter aux nombres de soldats décédés en mission pour s’en rendre compte. Selon l’association Le Souvenir Français, ils sont 653 à avoir perdu la vie depuis 1963.
Une insulte pour les Britanniques
Outre-Manche, cette interview de J.D. Vance sur Fox News fait l’effet d’une claque, et pour cause, le Royaume-Uni est le principal allié militaire des Etats-Unis.
Pour Jean-Dominique Merchet, les Britanniques ont réagi plus fortement que les Français pour plusieurs raisons : la fameuse « relation spéciale » qui unit les deux pays anglophones depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’attachement « presque affectif » des Britanniques à leur armée, mais surtout leur soutien constant aux campagnes militaires américaines.
« Les Britanniques ont toujours suivi les Américains, peu importe le conflit, explique Michel Goya, et ils l’ont payé très cher, notamment sur l’Irak. » A l’heure où la France refusait d’envahir l’Irak sans preuves des fameuses armes de destruction massives, le Royaume-Uni a été le premier soutien des Etats-Unis dans cette « coalition de volontaires » appelée par le président Bush.
Aujourd’hui, la fragmentation de ce « lien spécial » entre les deux pays est de plus en plus forte depuis l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche.
L’Europe et ses « sous-armées »
Plus globalement, ce genre de petites phrases représente pour le colonel le « mépris » américain pour les armées européennes, considérées comme des « sous-armées » qui nécessite un soutien logistique constant. « Sur le terrain, les relations sont toujours très cordiales, en revanche on nous pense incapable de mener seuls de grandes opérations. »
Une contre-vérité tenace, estime Michel Goya. Selon le spécialiste, la France a les capacités d’être ce qu’on appelle une « nation cadre », qui organise ce type d’opérations et fournit la majorité des troupes. Un titre que les Etats-Unis pensent être les seuls à pouvoir porter. Il le concède, la France en est capable, mais « à une moins grande intensité ».
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Par sa petite phrase, J.D. Vance a réussi à s’attirer les foudres des militaires européens, malgré son peu d’expérience en la matière. Seulement quelques années entre 2003 et 2007 en tant que chargé de communication chez les Marines, un poste duquel « il n’a pas dû entendre beaucoup de balles siffler » pour Jean-Dominique Merchet.