France

« J’ai été très choquée », quand la désinformation prorusse s’attaque à des Français anonymes dans les universités

Elle déplore « une bassesse immense » et se dit « extrêmement choquée ». Fin 2024, lorsqu’elle tourne une vidéo informant les étudiants en alternance et en situation de handicap de leurs droits, Christine Lombard ne s’imaginait pas un instant que celle-ci serait détournée dans une opération dont de nombreux signaux la rattachent à une opération de désinformation prorusse.

Référente handicap et directrice adjointe au service de formation continue et alternance à l’université de Rennes, elle a eu la mauvaise surprise de voir son travail détourné dans une vidéo attaquant le président Emmanuel Macron sur sa politique en faveur des personnes handicapées.

Une voix féminine générée par intelligence artificielle

La vidéo truquée commence par un plan de Christine Lombard, qui se présente, comme dans la vidéo originale qu’elle a tournée. Ensuite, le contenu change complètement. Une voix féminine, proche de celle de la référente handicap, assigne faussement que « malheureusement, en deux ans et demi, plus de 139 programmes d’aide aux personnes handicapées ont été réduits ou supprimés en France ». La vidéo, accompagnée d’images prétextes, s’achève en attaquant la politique du président français, en affirmant notamment que « la suppression des programmes sociaux pour les personnes handicapées est un échec de la politique sociale d’Emmanuel Macron ».

La vidéo a été diffusée fin décembre sur X, anciennement Twitter, et début janvier sur le réseau social Bluesky, où elle a été rapidement supprimée.

« Totalement démunis »

« C’est une bassesse immense de faire cela, déplore Christine Lombard auprès de 20 Minutes. On est totalement démunis. Sur le plan émotionnel, je suis extrêmement choquée de ces pratiques qui sont une attaque à mon identité, à ma personne. Cette vidéo utilise mon image. Le nom de mon établissement peut être également compromis, ce qui est illégal et moralement inacceptable. »

Quant au fond de la vidéo, la référente dénonce « de la désinformation totale. En tant que référente handicap, je trouve, au contraire, que les politiques ont pris des mesures efficaces et constructives ces dernières années en faveur des personnes en situation de handicap. » Elle avance le fait que « le nombre de personnes présentant un handicap qu’il soit physique, moteur ou cognitif, est en constante augmentation [parmi les étudiants] avec un taux de réussite identique aux autres étudiants. »

Une vidéo qui porte les marques de l’opération Matriochka

Syntaxe approximative, détournement de contenus institutionnels, attaque contre l’exécutif français, usage de l’IA pour générer des voix humaines crédibles, publication par des comptes inauthentiques et amplification artificielle sur les réseaux sociaux : la vidéo porte les marques de l’opération Matriochka, mise à jour par le collectif antibot4Navalny.

Cette opération détournait initialement des contenus de médias ou d’institutions internationales. Son but est d’interpeller les journalistes et plus particulièrement ceux chargés du fact-checking afin de leur demander de vérifier ces contenus et de détourner leur attention d’autres thématiques. Sur Bluesky, le compte inauthentique qui a posté la vidéo détournée de la référente handicap mentionnait ainsi les rédactions des agences Reuters et AFP, des chaînes CNN, TF1 et France 24 ou encore le site d’investigation Bellingcat.

La vidéo était en français, mais le compte inauthentique qui l'a postée sur Bluesky l'a accompagné d'une légende en anglais. Le jour où elle a été postée, la vidéo a été amplifiée par un réseau de bots.
La vidéo était en français, mais le compte inauthentique qui l’a postée sur Bluesky l’a accompagné d’une légende en anglais. Le jour où elle a été postée, la vidéo a été amplifiée par un réseau de bots. - Capture d’écran Bluesky

Christine Lombard et l’université de Rennes ne sont pas les seuls acteurs universitaires à être victimes de ces campagnes. Antibot4Navalny indique à 20 Minutes avoir dénombré des « dizaines » de vidéos similaires. D’autres universités françaises, telles que celles de La Rochelle, Montpellier, ou encore Le Havre en ont été victimes, depuis qu’antibot4Navalany a commencé à repérer la manipulation le 6 décembre. A chaque fois, ce sont des vidéos institutionnelles, mises en ligne sur YouTube ou sur Facebook, et qui tournent autour de la centaine de vues, qui sont détournées. Comme l’a détecté antibot4Navalny, le réseau s’adapte à l’actualité : les dernières vidéos en date attaquent le résultat des élections au parlement allemand et font l’éloge de l’AfD, parti d’extrême-droite allemand. Des vidéos émanant d’universités britanniques et américaines ont également été détournées. Dans un de ces montages, la voix d’un professeur d’anglais de Princeton, clonée, appelle à la levée des sanctions contre la Russie.

Visibilité limitée

Malgré leur multiplication, ces vidéos ont pour l’instant une visibilité limitée. Sur Bluesky, elles sont rapidement supprimées. Si elles apparaissent encore sur X, elles ne font pas l’objet de reprises.

Christine Lombard réfléchit aux suites, éventuellement judiciaires, à apporter à ce détournement : « Pour l’instant il est encore tôt pour en parler. J’envisage de porter plainte, je découvre cette situation car c’est la première fois que cela m’arrive. » Sa mésaventure, toutefois, pourrait être une piste de réflexion pour son université, afin de protéger le personnel et les étudiants des méfaits de l’intelligence artificielle générative. « La volonté de notre direction informatique et de notre direction juridique est d’échanger à partir de cette situation. » Un cas d’école pour se prémunir à l’avenir ?