Affaire Bétharram : Qui était « Cheval », ce surveillant « vicieux » et « manipulateur » devenu la terreur des internes ?

«L’enquête sur « Cheval » se poursuit. Des poursuites au civil seront lancées. Nous ne le lâcherons JAMAIS ». C’est le message qu’Alain Esquerre, lanceur d’alerte dans l’affaire Bétharram, a posté le 21 février après la levée de la garde à vue de cet ancien surveillant général, aujourd’hui âgé de 70 ans, pour cause de prescription des faits.
Pour l’heure, au total, 152 plaintes ont été déposées pour des viols, violences physiques ou sexuelles. Elles accusent des laïcs et des prêtres, dont une majorité est aujourd’hui décédée.
Une bête noire visée par 70 plaintes
Parmi eux, cet ancien préfet de discipline de l’établissement Notre-dame-de-Bétharram, situé entre Pau et Lourdes, a été visé par plus de 70 plaintes. Il avait été mis en cause pour un viol entre 1985 et 1989, des agressions sexuelles entre 1978 et 1989 sur 18 victimes et des violences physiques entre 1985 et 1989, au préjudice de 55 victimes. S’il a reconnu lors de ses auditions des « corrections », il a contesté les châtiments décrits par les anciens internes et nié fermement tous les faits de nature sexuelle.
Son nom revient souvent parmi les échanges des anciens internes de cet établissement, sur le groupe Facebook des anciens de Bétharram, car il semble avoir terrorisé des générations entières. Son look tiré à quatre épingles, sa moustache, son épi dans les cheveux, sa violence gratuite et ses caresses, parfois, sont restés gravés pour toujours dans la mémoire des enfants sur lesquels il a sévi. « L’homme pervers qui inspirait la terreur dans un dortoir pétrifié juste par sa démarche » lit-on, par exemple, dans un post.
Violent pour un bavardage ou des ongles rongés
Il était surnommé « Cheval » par les élèves. Soit pour sa mâchoire particulièrement développée, en particulier quand il serrait les dents, soit pour sa chevalière qu’il retournait pour asséner des coups, un « petit rictus sadique aux lèvres », selon un post. Face à des enfants parfois seulement âgés d’une dizaine d’années, ils se souviennent d’un homme « baraqué », en particulier du haut du corps, capable de tabasser un élève en plein milieu du réfectoire. « Je me disais pour me rassurer : « Thierry, tiens le coup, il ne peut pas te tuer « , » raconte cet ancien interne de Bétharram de 1981 et 1983, âgé de 55 ans aujourd’hui. Tous les lundis matin, il se faisait frapper pour s’être rongé les ongles le week-end. Il a été, avec M., 61 ans, rentré en 1976 à Bétharram, l’un des premiers à porter plainte début 2024.
Pour avoir prêté sa gomme à un camarade, M. reçoit de si grandes baffes par le surveillant général qu’elles le font tomber dans l’escalier et qu’il s’y fait ensuite traîner. Il tente alors de courir et d’aller se réfugier auprès de son grand-oncle, alors résident de la maison de retraite voisine. Mais « Cheval » le poursuit. C’est un prêtre croisé là-bas qui met fin à son calvaire, en décrétant que cela suffit.
« Dans son bureau, c’était un autre monde, témoigne Edouard, 51 ans, qui a porté plainte il y a deux jours contre lui pour violences physiques. La violence était beaucoup plus forte, et il s’arrangeait toujours pour ne pas laisser trop de traces. » Le plus souvent, il se faisait frapper à mains nues, et les coups l’envoyaient valdinguer contre les meubles en bois massifs : un bureau et une armoire.
« Il jouait au chat et à la souris avec moi »
Après un tel déchaînement de violences, sous prétexte d’un chuchotage ou d’un retard de quelques secondes pour se mettre en rang, le surveillant forçait Edouard, en larmes, à venir sur ses genoux. Il l’embrassait alors sur la nuque et le visage, lui imposant aussi des caresses. « Je pense que je ne suis pas passé loin de l’agression sexuelle », souffle-t-il. « Très vicieux », selon Edouard, « Cheval » impose des fessées avec la culotte baissée et épie les élèves quand ils sont sous la douche. Elle a lieu trois fois par semaine, à l’eau froide et de façon chronométrée. « Après les coups, venaient les caresses sur les fesses. Pour être un gentil garçon, comme il disait », se souvient aussi Thierry, qui a porté plainte pour violences physiques et agressions sexuelles, mais les faits sont prescrits.
Le surveillant terrorisait les dortoirs et débarquait auprès de certains des internes, même sans raison. « Le soir, il venait me parler, me caresser les cheveux, le ventre, raconte Thierry. Il jouait au chat et à la souris avec moi. » « Manipulateur », il lui promettait monts et merveilles pour son futur professionnel, après lui avoir infligé des séjours prolongés sur le perron, dehors, en pyjama, sans bouger et dans le froid. Un soir, Thierry est convoqué seul dans sa loge, sans raison. Mais « Cheval » est interpellé à haute voix par un interne du dortoir, ce qui met fin à l’entrevue. « Il m’a sauvé », souffle Thierry.
Des lycéens sous ses ordres dans les dortoirs
Sous les ordres de « Cheval », les grands du lycée (en première et en terminale) étaient propulsés chef de dortoirs et devaient imiter ses punitions. « Ils nous oubliaient sur le perron ou la cage d’escalier, et on y grelottait de froid pendant des heures, témoigne M. Il était interdit de s’accroupir ou de s’appuyer sur le mur. » Les élèves plus conciliants avec leurs camarades étaient révoqués dans leur rôle de surveillant et retournaient en étude. Car il fallait se plier aux méthodes de « Cheval » et faire régner la terreur pour obtenir un peu de pouvoir sur le dortoir. « Il ne voulait que des bagarreurs comme surveillants », se souvient Thierry.
Et de poursuivre : « Il avait tout le contrôle sur la vie à l’internat » et semblait « plus puissant que le père supérieur, qui lui ne frappait pas ». « J’ai envie qu’il soit montré du doigt comme un paria et qu’il ne continue pas sa vie tranquille », fait valoir Edouard. « J’aurais aimé qu’il reconnaisse les faits même s’ils sont prescrits, mais cela demande du courage et il n’en a pas, estime Thierry. On ne va pas le lâcher. » « Ce n’est pas par vengeance, assure M., c’est à visée thérapeutique ».
Toutes nos infos sur l’affaire Bétharram
Après son départ de Notre-Dame-de-Bétharram, « Cheval » a été conseiller d’éducation au collège à Orléans, de 1997 à 2005, puis directeur adjoint d’un collège privé catholique de Châteauroux, de 2005 à sa retraite, en 2018. Le parquet de Châteauroux a invité d’éventuelles victimes de ses agissements à se faire connaître.