France

Les accords de 1968 sont-ils vraiment avantageux pour les Algériens ?

Toujours en difficulté dans l’affaire Bétharram après le dépôt d’une plainte à son encontre, François Bayrou préfère se tourner vers l’Algérie, avec qui nos relations sont de plus en plus mauvaises. Dernière annonce en date, le Premier ministre souhaite « réexaminer » les accords de 1968, qui régissent les circulations, l’emploi et le séjour des ressortissants algériens en France.

Evoquant des « avantages particuliers », François Bayrou relance le débat sur ces accords considérés par la droite et l’extrême droite comme « trop avantageux » pour les Algériens. Pour l’avocate Anaïs Place, spécialiste en droit des étrangers, cet argument montre « l’incompétence » des politiques sur le sujet : « Il y a une véritable méconnaissance de la législation et du terrain, ce qui explique cette focalisation sur les accords de 1968, considérés comme trop avantageux, mais dans les faits c’est faux. »

Un texte « obsolète » qui laisse les Algériens dans le passé

En France, le droit des étrangers est majoritairement régi par le Ceseda (Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile), sauf pour les ressortissants algériens, qui sont renvoyés aux accords de 1968. Malgré quelques avenants au cours des dernières décennies, les accords franco-algériens n’ont que très peu évolués, là où le Ceseda a, au fil des années, créé de nouveaux dispositifs et droits accessibles aux étrangers.

Par exemple, les étudiants algériens doivent renouveler chaque année leur visa, là où des visas pluriannuels ont été mis en place pour les autres étudiants. Listant d’autres exemples, l’historien Michel Pierre, spécialiste de l’Algérie, évoque aussi des dispositifs comme le « passeport talent », permettant « aux salariés diplômés d’un master et aux salariés hautement qualifiés » d’obtenir une carte de séjour pouvant aller jusqu’à 4 ans. Un dispositif accessible à tous les étrangers… sauf pour les ressortissants venus d’Algérie.

Enfin, les Algériens ne sont pas inclus dans la liste des métiers en tension, utilisée comme base de référence pour permettre aux autorités d’accorder ou non des permis de séjour aux travailleurs étrangers. Ils ne peuvent donc pas faire valoir cet argument pour effectuer une demande de régularisation. Une décision remise en cause par l’avocate Anaïs Place devant le tribunal administratif, et qui devra être jugée par le Conseil d’Etat prochainement.

De nombreux dispositifs permettant un meilleur accès à l’emploi, aux études, mais aussi à la santé ou la protection contre les violences conjugales, ne sont pas non plus accessibles aux Algériens habitant en France. « Ces accords sont devenus obsolètes car les quelques « avantages » ont été rattrapés par les évolutions du droit commun et du Ceseda » conclut l’avocate en droit des étrangers.

Quelques avantages subsistent

Malgré tout, il existe toujours quelques avantages spécifiques aux ressortissants algériens. Des mesures incluses dans les accords de 1968, que le droit commun n’a pas encore étendues aux autres étrangers. Dans les mesures les plus emblématiques, la possibilité d’obtenir un titre de séjour de 10 ans après 3 ans sur le territoire contre 5 ans normalement, un regroupement familial facilité, et une liberté pour les commerçants de s’installer plus facilement en France.

Pourtant, ces avantages qui participent à une augmentation massive des arrivées en France. En 2023 par exemple, c’est ce sont les Marocains qui représentent le plus grand nombre de premiers titres de séjours délivrés, avec 36 845 nouveaux arrivants, contre 32 003 pour les Algériens. Même classement pour les renouvellements de titres de séjour, avec 127 613 pour les Marocains et 100 579 pour les Algériens.

Pourquoi pointer du doigt l’Algérie ?

Pour Anaïs Place, se focaliser sur l’Algérie est une manière d’instrumentaliser le débat sur l’immigration, dans un contexte de refus de l’Etat algérien de coopérer avec la France, notamment sur la question des OQTF : « Tout cela relève de la diplomatie. »

Une manière pour François Bayrou de reprendre l’ascendant dans le bras de fer qui l’oppose au président algérien Abdelmadjid Tebboune, mais qui pourrait empirer nos rapports avec le pays maghrébin.

Notre dossier sur l’Algérie

« Ça m’étonnerait que tout cela impressionne l’Etat algérien, conclut Michel Pierre. Nous n’avons que très peu de cartouches dans ce duel. » A l’heure où l’Algérie s’isole de plus en plus des échanges avec la France, l’historien rappelle que plus au sud, l’Espagne et l’Italie « font les yeux doux » aux Algériens en quête de visas, rendant nos menaces de plus en plus inefficaces.