« Maman, il va où le cochon après ? » … Au Salon de l’Agriculture, le tabou de la mort des animaux pour les enfants

Au Salon de l’Agriculture,
Top chrono. Combien de temps un parent peut-il préserver l’innocence de son enfant dans le hall des animaux au Salon de l’Agriculture ? C’est qu’après s’être extasiés sur la robe des vaches ou le pelage du mouton, les marmots hyperactifs finissent immanquablement par poser LA question fatale (littéralement) : mais où va l’animal après avoir été célébré sous toutes ses coutures à Paris ? La curiosité est un bien vilain défaut, surtout pour ceux qui veulent garder leur candeur.
Pour Nathalie, qui espérait une sortie familiale apaisée, la tâche s’annonce périlleuse. L’enfant étant occupé avec papa, elle confie sa stratégie : le mensonge éhonté. « Ce serait brutal de lui annoncer que l’animal va sûrement finir par être tué pour être dévoré. » Gabriel n’a que 4 ans, et il est encore un peu tôt, selon sa mère, pour lui annoncer que le mouton qu’il vient d’admirer sera peut-être un jour servi dans sa cantine. Du coup, dans la version « officielle » de Nathalie, le gentil animal rentrera gentiment vivre des jours heureux dans sa gentille ferme pendant de longues années. Tant pis pour la vérité, « on ne va gâcher ce moment » (d’autant que papa-maman ont pris un jour off quand même).
« Déjà qu’il a appris que le père Noël n’existait pas »
Certes, le sort des animaux présents au Salon de l’agriculture n’est pas forcément tragique. Lors de l’édition 2024, la fondation Brigitte Bardot avait annoncé qu’ils étaient directement envoyés à l’abattoir après le Salon, une accusation déminée dans de nombreux médias. En réalité, seule une minorité finit exécutée « directement » après Paris. La plupart des animaux présents dans la capitale comptent en effet parmi les meilleurs de chaque éleveur et ont donc un sort (et une durée de vie) plus appréciable que leurs congénères.
Reste que le sujet de « l’après » demeure complexe à aborder pour Faustine, maman de Lucas, 5 ans. « Il sait qu’il mange des animaux, mais je ne pense pas qu’il fasse encore l’association d’idées entre ce qu’il voit là et son assiette. » Et la mère n’est pas décidée à l’aider. « Déjà qu’il a appris cette année que le père Noël n’existait pas, ça ferait beaucoup. »
« Evidemment on ne va pas lui dire, c’est trop brutal »
Alors quand l’innocent demande « Maman, il va où le cochon après ? », elle invoque à son tour la jolie ferme et des bains de boue jusqu’à ses vieux jours. Pour d’autres enfants, le rapport animaux-viande est bel et bien établi, mais il reste un dernier tabou : les conditions de la mort. Sarah, 6 ans et demi, l’aînée de Faustine, a bien conscience que les cochons du Salon finiront par être mangés, mais « après être morts de vieillesse », jure-t-elle. Regard embarrassé de la mère, qui doit jongler entre les mensonges.
Théo est quant à lui venu non accompagné de sa progéniture. « L’an dernier, l’aîné m’a fait tout un sketch quand il a vu les cochons. Il a refusé de manger de la viande pendant six mois après. » Compliqué pour les courses.
Les enfants qui spoilent les autres enfants
Nathalie, elle, fait bien attention à éviter certains groupuscules. « Il y a pas mal de blagues de »jeunes » sur le fait que tel ou tel animal va être bientôt tué. C’est un peu lourdingue », surtout pour protéger les oreilles chastes de Gabriel. « On ne peut pas non plus les laisser entre enfants », selon le syndrome de la Petite Souris : des enfants sont au courant, d’autres non, et quand on a 6 ans et qu’on est un Sachant, on n’a aucune vergogne à tout spoiler aux Ignorants.
Pierre, lui, a mis en place une autre stratégie : privilégier au maximum les animaux « certains de survivre, comme les vaches laitières », crâne-t-il, « afin de ne pas mentir à mes enfants ». Personne n’a osé lui dire qu’une vache laitière est réformée – abattue – après huit à dix ans à la ferme en moyenne, alors que son espérance de vie dans la nature est de vingt ans. Au Salon de l’Agriculture, il n’y a pas que pour les enfants qu’il faut préserver l’innocence.