Le prisonnier politique Khayam Turki adresse une lettre à l’opinion publique
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Merci à vous tous d’être présents et de suivre cette conférence de presse inhabituelle. Nous nous adressons à vous depuis l’enfermement, derrière les barreaux, là où le régime en place nous a jetés en février 2023. Non pas parce que nous avons commis un crime prévu par le Code pénal, mais parce que nous avons exercé notre citoyenneté, en revendiquant notre droit à participer à la vie politique de notre pays. Rien de plus.
Après plus de deux ans de détention arbitraire et de séquestration, je prends aujourd’hui la parole, pour la première fois, afin de partager quelques réflexions :
• Pour ceux qui ne me connaissent pas, et qui n’ont entendu mon nom que dans le cadre de cette affaire fabriquée de toutes pièces, sachez que la seule raison qui m’a poussé à m’opposer à ce régime est mon amour pour mon pays et ma défense inconditionnelle de la liberté et de la démocratie. Rien d’autre. Ceux qui ont travaillé avec moi dans le champ politique ou civil le savent pertinemment.
• Mon emprisonnement est un acte politique, sans aucun lien avec la justice ou le droit. Si un jour je retrouve la liberté, ce ne sera pas par une décision de justice, mais par un choix politique. Car ici, la justice a été réduite à une simple administration exécutant les ordres du pouvoir, privée de toute indépendance. Dès lors, je n’attends ni équité, ni impartialité, ni même le strict respect des principes du droit.
• Construire une démocratie exige des sacrifices. Aujourd’hui, je sacrifie ma liberté, aux côtés de dizaines d’autres prisonniers politiques et détenus d’opinion, pour que l’idéal démocratique ne soit pas englouti par la tyrannie et la répression.
• J’éprouve une immense fierté à partager cette épreuve avec des hommes et des femmes intègres, des dirigeants politiques qui n’ont jamais hésité à mettre leur liberté, et parfois même leur vie, au service d’une Tunisie libre et juste.
• L’audience du 4 mars 2025 ne sera pas notre procès. Elle sera le procès du régime en place, celui qui a choisi l’arbitraire et la répression plutôt que l’État de droit.
• L’opinion publique sera témoin, le 4 mars, de la vacuité de ce dossier. Il ne repose sur aucun fait criminel. Il s’agit d’un procès politique, d’une tentative d’éliminer toute vie politique indépendante et toute opposition pacifique en Tunisie.
Une question demeure :
Les Tunisiens ont-ils encore le droit d’exercer une opposition pacifique et légale dans leur pays ?
Ou bien ce droit est-il désormais considéré comme un crime terroriste et un acte de trahison nationale ?
Si tel est le cas, alors ayons le courage de l’annoncer au monde. Changeons les lois, la Constitution, et dénonçons les traités internationaux que la Tunisie a ratifiés. Déclarons officiellement que l’action politique est un crime, que l’opposition est une menace, et que la démocratie est une illusion. Au moins, cela mettrait fin à l’hypocrisie qui gangrène nos institutions et accorderait les actes aux discours.
Je crois que répondre à cette question, c’est aussi répondre aux raisons de mon arrestation et de celle de tant d’autres : militants politiques, défenseurs des droits humains, journalistes, blogueurs, avocats. En Tunisie, les libertés fondamentales sont criminalisées, et des citoyens sont jugés sans texte légal, au gré des opportunismes du pouvoir.
Je n’allongerai pas davantage ce discours. Je ne suis pas un homme de longs monologues. Mais avant de conclure, je vous invite, vous tous, à suivre de près l’audience du 4 mars 2025. Puisse ce jour marquer la victoire des valeurs de liberté, de justice et de démocratie.
25 février 2025 – Prison civile de Mornaguia – Tunisie
Le prisonnier politique Khayam Turki