Affaire Bétharram : « Je n’avais aucun moment de répit », les violences entre élèves, la face cachée du scandale ?

La violence appelle la violence, l’autorise et la propage. Le scandale de Bétharram, a mis en avant les violences et sévices, légion, des adultes sur les enfants. Moins connues sont les violences entre élèves dans le même établissement, qui découlent de ce système où taper et dominer étaient la règle pour tout le monde. 20 Minutes a interviewé plusieurs victimes, qui nous racontent ce qu’elles ont subi, et la mécanique qui a permis que des enfants s’agressent entre eux.
Les violences prenaient souvent la forme de bagarres, que l’encadrement laissait faire, voire encourageait, selon les témoignages récoltés. « L’essentiel des coups que j’ai pris à Bétharram venait des élèves, raconte par exemple Jérôme, arrivé en CM2, élève de 1987 à 1992. Un véritable calvaire a commencé quand un encadrant a commencé à l’affubler du surnom de « bébé » : « Certains des élèves m’ont couru après, insulté, craché dessus, frappé, avec la bénédiction de cet homme. A partir de ce moment-là, je n’avais plus aucun moment de répit. La mécanique s’est maintenue pendant deux ans, jusqu’à ce que ma prof de Français intervienne. Cela s’est atténué mais sans s’arrêter complètement », raconte-t-il. De multiples témoignages vont dans ce sens sur les groupes Facebook d´anciens élèves de Bétharram.
Des enfants commettaient aussi des violences sexuelles, dans un climat où il était connu et su que certains adultes s’en prenaient aux sexes des élèves. « Je portais des lunettes à la Harry Potter et un appareil dentaire et je ne connaissais rien à la violence », raconte Adrien, 33 ans aujourd’hui. Il a 12 ans quand il entre à Bétharram, en 2003, après avoir grandi en région parisienne. Il est pris pour cible dès le départ par des élèves, mais les violences prennent une tournure particulièrement grave entre décembre 2003 et janvier 2004. Il est alors été victime de trois viols par trois élèves plus âgés (fellation et sodomie) dans les toilettes, qu’il va alors constamment éviter. Il se plaint auprès du directeur, dénonce les violences aussi qu’il aperçoit sur d’autres élèves, mais on l’accuse de mentir. Pour toute réponse, il est collé tous les mercredis après-midi. Pour se défendre, il va alors demander à ses parents, qui ne le croient pas non plus, de lui acheter une raquette en bois, qu’il utilisera comme une forme d’arme. Il développe lui-même une attitude violente et se venge des élèves qui l’ont violé: « Je les ai explosés. Œil pour œil, dent pour dent. »
Une culture de la violence
« C’est le corps encadrant qui a créé des bourreaux-victimes, constate aujourd’hui Adrien. Je me suis reconstruit en haïssant les encadrants mais aussi avec un sentiment de vengeance vis-à-vis des élèves ». Le collégien a tellement « intégré » la violence, que lorsqu’il change d’école, il se rue immédiatement contre l’élève qui lui semble le plus fort de tous dans la cour, espérant ainsi s’imposer par la peur dans le nouvel établissement : « Il ne m’avait pas agressé, mais dans la peur de revivre ce que j’avais vécu, je l’ai frappé ». Le personnel, médusé, tente de comprendre : « J’ai eu la chance de trouver des gens qui m’ont écouté. » Il abandonnera au fil des mois ce réflexe de violence.
Les élèves qui sont frappés par les adultes se défoulent sur les plus petits, et l’absence de sanction pour ceux qui tapent crée un climat où c’est la loi du plus fort qui règne. Un univers que beaucoup ont comparé à la prison, ou à l’image que l’on s’en fait. Eric Saleun, en 4e de 1987 à 1989, se souvient d’un surveillant de métier, prof de self-défense, qui encourageait les élèves à se battre. Un climat de virilité toxique règne, où celui qui ne montre pas les muscles est vite accusé de faiblesse, propos homophobes en prime. « On voyait une meute de 20 à 40 élèves fondre sur un autre élève tous les jeudis soir, sous l’approbation des surveillants », se souvient-il.
Surveillants-élèves
Les violences venaient parfois des surveillants-élèves, des lycéens qui étaient recrutés pour faire la police en échange d’avantages. Eric Saleun a non seulement été agressé sexuellement par un adulte surveillant de métier, mais il subissait aussi les brimades et violences physiques d’élèves de Première qui le secondaient. Il se souvient aussi d’une bagarre au cours de laquelle il est étranglé et perd connaissance. « Le surveillant du bus, élève de première, nous convoquait au fond du bus et nous demandait si on était passé devant une Renault ou Peugeot, et on se prenait une gifle, qu’on ait juste ou pas », témoigne aussi Gael Coulon, entré en 4e en 1988 à Bétharram. Il a reçu une dizaine de gifles de cet élève au total, et a déposé plainte à la gendarmerie contre lui et d’autres élèves. Un autre ancien élève, Nicolas B, a également témoigné pour violences et harcèlement moral contre des lycéens responsables du dortoir.
Au total, 114 plaintes ont été officiellement recensées par le procureur de la République de Pau, mais selon le collectif de victimes, il y en aurait 38 de plus, sous forme pour certaines d’entre elles pour l’instant d’attestations déposées en justice, affirme à 20 Minutes Alain Esquerre. Il est difficile d’évaluer le nombre d’attestations ou de plaintes qui portent spécifiquement sur des élèves, mais s’agissant de violences sexuelles entre élèves, il n’y en a que « quelques unités » sur le lot, nous dit-il. Du moins, jusqu’à présent. Car le porte-parole des victimes affirme récolter de très nombreux témoignages de violences entre élèves portant sur les 20 dernières années, et qui n’ont pour l’instant pas porté plainte ni formellement déposé d’attestation.
Kelly, qui a passé deux ans à Bétharram à partir de 2010, rebaptisé « Le Beau rameau » un an plus tôt, a quant à elle apporté son témoignage à la justice, et souhaite à terme porter plainte. Elle nous a décrit dans un long texte le harcèlement subi par une élève et les violences physiques de la part d’un groupe de filles. « J’ai pris des coups, elles m’ont déshabillée, déchiré les vêtements, tapé les seins et éteint des cigarettes sur mon dos, mes bras et ma poitrine. C’est l’alarme incendie qui à tout arrêté », raconte-t-elle, entre autres.
Il est à parier que l’affaire Bétharram soit loin d’être terminée.
* Les prénoms ont été changés.