France

Procès Le Scouarnec : « C’est indécent »… L’Ordre des médecins sur le banc des victimes, ça ne passe pas

A la cour criminelle du Morbihan,

Il s’est assis calmement dans un box qu’il va occuper pendant au moins quatre mois. Jugé pour des viols et agressions sexuelles commis sur 299 victimes, qui étaient en grande majorité mineurs, Joël Le Scouarnec est arrivé discrètement en fin de matinée, ce lundi, dans un véhicule blanc de l’Administration pénitentiaire. Devant le tribunal judiciaire de Vannes où l’ancien chirurgien est jugé depuis ce 24 février, quelques pancartes commencent à être brandies au milieu d’une impressionnante meute de journalistes. Parmi les messages les plus visibles : « Médecins, agresseurs, violeurs. Ordre des médecins complices ».

Accusé par certains d’avoir laissé le médecin agir en toute impunité pendant des années, y compris lorsqu’il avait été condamné pour détention d’images pédopornographiques en 2005, l’Ordre des médecins est ouvertement critiqué. « Les voir s’asseoir sur les mêmes bancs que les victimes, c’est moralement indécent et juridiquement contestable », déclare à la barre Me Frédéric Benoist, avocat de l’association La Voix de l’enfant.

Le conseil de l’Ordre, c’est une vieille institution composée de médecins censée être la garante de la déontologie de la profession. Pour ce procès hors normes, son bureau national et son antenne départementale ont souhaité se constituer parties civiles. C’est-à-dire qu’elles se placent comme victimes du docteur, considéré comme l’un des pires pédocriminels que la justice française ait connu. « Nous considérons que Joël Le Scouarnec a gravement nui à l’image de la profession des médecins. En nous portant partie civile, nous espérons rétablir notre honneur », déclare le responsable du conseil de l’Ordre des médecins du Morbihan.

Il avait été condamné mais ça n’a rien changé

L’institution départementale est pourtant montrée du doigt pour son inaction, beaucoup estimant qu’elle n’aurait pas dû autoriser le chirurgien à exercer. En 2006, l’Ordre avait été avisé de la condamnation à quatre mois de prison avec sursis de son médecin, reconnu coupable de détention d’images pédopornographiques. Mais le conseil départemental s’était déclaré incompétent, renvoyant la décision à son antenne nationale. Résultat : rien n’avait été fait et le médecin avait pu continuer à exercer, étant même titularisé à l’hôpital de Quimperlé. Le praticien était alors présenté comme « sérieux, compétent, affable », et son arrivée dans le Finistère avait permis « de stabiliser l’activité chirurgicale de manière satisfaisante ». Le président de la commission d’établissement lui avait seulement imposé d’être accompagné quand il intervenait auprès de mineurs.

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Joël Le Scouarnec avait alors pu continuer à exercer, faisant encore des dizaines de victimes. « Je profitais du fait que les parents soient derrière un paravent ou que les témoins détournent l’attention », avait-il expliqué aux enquêteurs. Sous couvert d’acte médical, il caressait, masturbait, pénétrait avec ses doigts des enfants parfois conscients mais bien souvent endormis. L’homme, aujourd’hui âgé de 74 ans, agira ainsi jusqu’en 2017 et le dépôt de plainte de sa voisine. Sa fille, âgée de 6 ans, avait dénoncé les faits d’exhibition sexuelle et un viol digital. Le Dr Le Scouarnec avait été radié peu après sa mise en examen. Les enquêteurs avaient alors découvert des carnets dans lesquels le médecin compilait les immondes sévices qu’il imposait aux enfants, vantant ses gestes, tout en citant la date, le lieu et l’identité de la victime. C’est comme cela que les gendarmes ont découvert l’étendue des actes du pédocriminel.

« On aurait pu épargner de nombreuses victimes »

En 2020, le médecin a été condamné à quinze années de prison pour ces faits commis sur sa voisine et trois autres victimes, dont sa nièce. « On aurait pu épargner de nombreuses victimes si les institutions avaient agi. L’Ordre n’a jamais joué son rôle alors qu’il savait que Le Scouarnec avait été condamné », assure Annick, médecin retraité. Ancien praticien et membre du collectif Miope (Mouvement d’insoumission aux ordres professionnels), François est également révolté par ces manquements. « C’est une institution corporatiste qui protège qui elle veut. Le médical est l’une des professions les plus protégées. En le laissant faire, ils n’ont fait qu’augmenter le nombre de victimes », s’agace le retraité.

Manuella fait partie de ces enfants qui ont été abusés par le chirurgien. « Oui, je suis en colère qu’ils n’aient rien fait. Mais ils ont le droit de se présenter au procès. Tous les médecins ne sont pas comme lui », réagit la jeune femme, l’une des rares victimes à avoir accepté de témoigner pour ce premier jour de procès. Une lettre signée par 58 médecins, invitant l’Ordre à « quitter le banc des parties civiles », a été publiée il y a quelques jours, preuve du malaise qu’a provoqué cette constitution.

La cour criminelle du Morbihan va examiner la demande de constitution de partie civile de l'Ordre des médecins, que des victimes de Joël Le Scouarnec contestent.
La cour criminelle du Morbihan va examiner la demande de constitution de partie civile de l’Ordre des médecins, que des victimes de Joël Le Scouarnec contestent. - T. Padilla/AP/SIPA

La constitution de partie civile des conseils de l’Ordre des médecins doit être examinée par la cour criminelle. Sa décision sera connue ce mardi pour le deuxième jour d’un procès qui devrait durer quatre mois. Joël Le Scouarnec a fait savoir qu’il allait « assumer ses actes » et qu’il « ne cherche en aucun cas à se défausser de ses responsabilités derrière des ordres ».