Guerre en Ukraine : « Pour rentrer en Russie, il faudrait que Poutine meure », témoigne Andrei Stadnikov, exilé en France
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Andrei Stadnikov est le troisième russe exilé que nous rencontrons à l’occasion des 3 ans de la guerre en Ukraine, et le seul à accepter de témoigner à visage découvert. Le metteur en scène est arrivé en France le 8 septembre dernier, avec son épouse, chorégraphe de ballet, et ses deux fils âgés de 5 et d’1 an et neuf mois.
Andrei Stadnikov est passionné par son art. En 2019, il a reçu un Masque d’or, un prix prestigieux de la scène théâtrale russe. Lorsqu’il l’évoque, Andrei s’illumine, ses yeux bleus pétillent et son sourire s’élargit. Avant de s’évanouir. « C’était il y a si longtemps… Depuis, les choses ont changé en Russie, c’est devenu très difficile », soupire-t-il. Sur son site, le dramaturge assure que l’essence de son art se situe en partie dans le désir de « faire une autre révolution (cette fois-ci réussie) ». Un vœu téméraire dans un pays où des décennies de pouvoir de Vladimir Poutine ont réduit au silence toute forme d’opposition.
Des artistes censurés
« Ça devenait dangereux pour moi de rester en Russie, admet l’homme de 36 ans en plissant les yeux. Bien des metteurs en scène avec qui j’ai travaillé ont été censurés. L’un de mes producteurs a même reçu une lettre lui conseillant de ne pas travailler avec moi. » Un « conseil » venu d’en haut, faisant suite aux représentations dans plusieurs pays européens de sa pièce de théâtre antiguerre en Ukraine, Japan.
Et ce n’est pas la première fois que l’artiste se mouille à travers son art. « L’une de mes pièces de théâtre a été écrite pour [la dramaturge] Zhenya Birkovitch, une opposante aujourd’hui en prison. » La metteuse en scène a en effet été arrêtée en mai 2023 pour « apologie du terrorisme ». Les autorités russes accusent sa pièce Finist, the Brave Falcon, qui raconte l’histoire d’une femme russe qui épouse un djihadiste et le rejoint en Syrie, de faire l’apologie de la radicalisation islamiste.
« On était coincés »
« Mais on ne sait jamais pourquoi on est arrêté en réalité », glisse Andrei Stadnikov, qui ajoute que Zhenya Birkovitch a probablement été plutôt enfermée pour des poèmes contre la guerre en Ukraine publiés sur Facebook. « On peut aller en prison pour une donation au FBK [l’organisme d’Alexeï Navalny] ou un like sur les réseaux sociaux », souffle-t-il en frottant d’un doigt sa moustache. Alors en écrivant Japan sans se dissimuler derrière un pseudonyme, Andrei savait qu’il risquait d’être visé par le pouvoir. Malgré les risques, la famille met du temps à quitter le pays.
« On a décidé de partir dès le début de la guerre, mais on était coincés. Je devais vendre l’appartement de mes parents situé à Novossibirsk [en Sibérie occidentale], très loin de Moscou où je vivais. Ça m’a pris beaucoup de temps », explique l’artiste. En parallèle, la famille n’a pas les papiers nécessaires à son exil. « On a fait une première demande de visa en janvier 2024. Mais elle a été malheureusement refusée [dès février], on ne savait pas pourquoi », se souvient-il. Le dramaturge décide ensuite de se tourner vers l’association l’Atelier des artistes en exil. Elle a aidé la famille à monter un dossier, renvoyer une demande en mars 2024 et finalement obtenir un visa en France en mai.
« Il faudrait que Poutine meure »
« On a choisi ce pays parce que ma femme adore la France et on aime la langue », explique-t-il. Avant d’ajouter dans un rire gêné que leur expérience à la française n’a pas été uniquement positive. « Deux semaines après notre arrivée, on m’a volé mon téléphone près d’une station de métro. »
Notre dossier sur la guerre en Ukraine
Interrogé sur un potentiel retour au pays, Andrei soupire : « Je ne pense pas que l’on rentrera un jour en Russie. Même si c’est dur pour ma femme, dont la famille est toujours au pays, mais aussi pour mon fils aîné, qui ressent de la nostalgie. Il faudrait de vrais changements politiques. Par exemple… que Poutine meure. » L’artiste s’esclaffe un instant avant de se reprendre : « Malheureusement, je ne vois aucun signal positif à l’horizon. Il y a au contraire un effet boule de neige : la répression ne fait que s’intensifier. »