Suisse

Liste noire pour qui ne paie pas l’assurance maladie? Des «conséquences inhumaines»

Carte de caisse maladie


Pour que les caisses maladie remboursent les traitements, mieux vaut avoir payé les primes.


Keystone / Christian Beutler

La réactivation de la liste noire des personnes qui ne paient pas leurs primes d’assurance maladie est discutée au Tessin. Tour d’horizon de ce qui se passe dans les autres cantons, avec par exemple les gouvernements de Lucerne et du Valais qui expriment leur scepticisme.

Au Tessin, le parlement cantonal débat de la réactivation de la liste noire des mauvais payeurs de l’assurance maladie, une mesure qui avait été suspendue pendant la pandémie. Un instrument de pression qui peut conduire, pour ceux qui ne paient pas leurs primes, à la suspension des traitements. Avant de rédiger son ou plus vraisemblablement ses rapports, la Commission de la santé a indiqué avoir l’intention de procéder à une comparaison avec ce qui se passe dans d’autres cantons.

«Conséquences inhumaines»

En Suisse, explique une enquête de la RSI, seuls cinq cantons disposent encore de cette liste noire: le Tessin, Lucerne, Zoug, l’Argovie et la Thurgovie. Quatre autres, les Grisons, Saint-Gall, Schaffhouse et Soleure, ont décidé de la supprimer. En revanche, les 17 cantons restants ne l’ont jamais utilisée.

«Le canton du Valais a décidé de ne pas mettre en place la liste noire, car nous estimons que les conséquences en seraient graves», a expliqué le chef du Département valaisan de la santé, Mathias Reynard, au micro de la RSI. Concrètement, la suspension des traitements toucherait toute la famille, y compris les enfants. Et ce, même pour des maladies chroniques comme le diabète ou l’asthme, qui ne relèvent pas de la notion de traitement d’urgence. Ici, les conséquences seraient à notre avis inhumaines et poseraient un réel problème de nature éthique.»

Les cantons partisans de cette mesure ont toujours affirmé que la liste avait un effet dissuasif qui limitait le nombre de mauvais payeurs. Mais est-ce vrai? Nous avons posé la question à la responsable de la santé de Lucerne. «Nous avons suspendu la liste en novembre dans le but de l’abolir. Elle nous coûte près d’un million de francs par an, mais elle ne permet pas de réduire le nombre de mauvais payeurs et elle va en outre à l’encontre d’importants principes éthiques», répond la conseillère d’État Michaela Tschuor.

Le Conseil fédéral lui-même s’est prononcé à plusieurs reprises contre les listes noires, tout en respectant l’autonomie des cantons. Le Tessin en dispose depuis 2012, date à laquelle la pratique est entrée en vigueur. En 2018, une initiative parlementaire d’Ivo Durisch a demandé son abolition. Le député socialiste a été poussé à réagir à la suite d’un épisode survenu dans les Grisons, où un assuré en retard de paiement atteint du sida était décédé à la suite de la suspension de son accès au traitement.

Puis vint l’épisode de la pandémie qui a entraîné la suspension de la liste noire du Tessin. L’examen du dossier, qui vise à décider de la suite à donner, est en cours à la Commission de la santé et de la sécurité sociale. La réflexion peut se baser également sur l’enquête menée auprès des communes, dont 58% ont exprimé une préférence pour la réactivation de cet instrument. Nous sommes en train de faire les dernières évaluations et il est probable que nous arriverons devant le Grand Conseil assez rapidement», indique le président de la commission Daniele Caverzasio.

À la position des communes s’ajoute celle du gouvernement cantonal, qui s’est dit prêt à mettre en œuvre la réactivation de la liste noire. Une résolution qui laisse toutefois Daniele Caverzasio et d’autres membres de la commission quelque peu dubitatifs: «Nous allons prochainement faire des études approfondies pour comprendre si c’est vraiment l’intention», dit-il.

Il y a beaucoup d’argent en jeu: 20 millions par an, dont deux tiers sont à la charge du Canton et un tiers à celle des communes. Cette somme est le résultat du découvert provoqué par les 20’000 impayés enregistrés à fin 2024, dont 8000 avec un acte de défaut de biens. En effet, en cas de non-paiement, 85% de la dette est couverte par les cantons, tandis que les 15% restants sont à la charge des caisses maladie. Des coûts qui, au niveau national, avoisinent aujourd’hui les 400 millions de francs par an.

«Certes, le non-paiement des primes de l’assurance maladie est une réalité ici aussi, observe le conseiller d’État valaisan Mathias Reynard, mais honnêtement, quelqu’un qui se retrouve dans une telle situation avec des actes de défaut de biens et des commandements de payer aurait déjà toute une série de problèmes, comme celui de trouver un appartement. Ce n’est certainement pas avec une telle mesure qu’on va l’aider à s’en sortir, et cela n’aurait pas d’effet positif sur les finances du canton.»

Plus

lire plus Vous voulez en savoir plus? Abonnez-vous à notre newsletter

La conseillère d’État lucernoise, qui a suspendu la liste noire, se dit sereine: «Non, nous ne craignons pas une augmentation des impayés, déclare Michaela Tschuor. Nous avons constaté que nous sommes restés stables autour de 4500 cas pendant des années. Cela nous fait comprendre que la liste noire, qui pénalise ceux qui ne veulent pas payer, n’est pas l’instrument adéquat».

En fait, ce qui est récupéré est négligeable. De plus, il n’y a pas de différences évidentes entre les cantons qui ont la liste et ceux qui ne l’ont pas. Le parallélisme avec le montant des primes est en revanche plus logique: plus elles sont élevées, plus il y a de mauvais payeurs. Ce n’est pas pour rien qu’en Appenzell Rhodes-Intérieures, qui n’a pas de liste noire, le phénomène se traduit par une charge cantonale d’un peu plus de 2 francs par habitant. Au Tessin, cette charge est supérieure à 50 francs par habitant et à Genève, elle bondit à 80 francs.


Contenu externe

Le problème éthique de la suspension des soins

La liste noire des mauvais payeurs a des implications financières, mais aussi éthiques. En 2023, la Commission nationale d’éthique pour la médecine humaine a rendu un avis non contraignant, mais qui fait autorité sur ces questions. Le nœud du problème, comme le confirme la vice-présidente de cette instance, Samia Hurst-Maino, concerne l’arrêt des traitements: «Il pénalise les personnes qui ont le plus besoin du médicament. Le retrait d’un traitement médical, en tant que punition, est inapproprié et disproportionné. L’exclusion de ces personnes contredit les objectifs de l’accès universel aux soins.»

Les milieux qui soutiennent les listes noires affirment que l’accès aux soins d’urgence est garanti. Une garantie insuffisante aux yeux de Samia Hurst-Maino: «Il faut comprendre que la notion d’urgence en médecine est beaucoup moins précise qu’on ne le pense. Elle est dangereuse, car un traitement peut être urgent même si le patient ne mourra pas immédiatement sans cet accès.»

Le canton du Tessin a déjà fait savoir que s’il devait réactiver la liste noire, il le ferait dans les conditions pré-Covid, c’est-à-dire en se concentrant sur les personnes qui peuvent payer, mais ne le font pas et non sur celles qui ne peuvent pas payer. «En théorie, cela pourrait être une solution, mais en pratique, pas vraiment», note la vice-présidente de la Commission d’éthique. «En Suisse, d’un point de vue constitutionnel, la différence entre le refus de payer et l’incapacité de payer est importante, car une personne qui refuse de payer est considérée comme quelqu’un qui a fait le choix de ne pas exercer un droit plutôt que comme quelqu’un qui est exclu de ce droit.»

Pour illustrer davantage le problème, Samia Hurst-Maino donne «l’exemple d’une personne qui a de l’argent, mais qui, en raison d’un état dépressif, n’est pas en mesure de remplir ses obligations administratives et ne paie donc pas. Elle serait probablement considérée comme une personne qui refuse de payer, même si dans la pratique elle n’est pas en mesure de le faire. Dans ce cas, le droit international, qui ne prévoit pas cette différence, tient davantage compte de cette difficulté pratique.»


Contenu externe

Texte traduit de l’italien à l’aide de DeepL/op