France

Prison : Un mineur fouillé à nu hors de tout cadre légal… « Une humiliation pour montrer qui est le plus fort »

Le 21 janvier, au centre pénitentiaire de Seine-Saint-Denis, à Villepinte, un jeune homme de 17 ans a subi une fouille intégrale, à nu, alors qu’il sortait d’un entretien au parloir avec une psychologue de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Une information a priori anodine, à l’exception près que la fouille en question a été faite hors de tout cadre légal. Un événement qui illustre certaines dérives constatées dans les centres de détention et les maisons d’arrêt.

En parallèle à la proposition de loi déposée par l’ancien Premier ministre, Gabriel Attal, qui vise à durcir la justice envers les mineurs, ce cas montre l’autre pan du dossier, invisibilisé dans le débat, celui de l’après, de la détention.

La fouille à nu pour humilier, « montrer qui est le plus fort »

Cet après-midi de janvier, alors que son entretien avec Julie H. la psychologue se terminait, Hassan* a eu pour seul tort de montrer son impatience. Alors que son rendez-vous avait déjà commencé avec cinquante minutes de retard, Hassan lâche un « c’est pas trop tôt » après avoir attendu dix minutes que l’agent ne vienne le chercher.

« Le surveillant était clairement dépassé par le nombre de personnes à gérer, il m’a dit que ce n’était pas son poste habituel […]. Pendant que j’attendais, il a d’ailleurs fait entrer un détenu majeur dans mon box, pensant que j’étais son avocate », explique Julie H. qui devra écourter l’entretien avec Hassan pour respecter son rendez-vous suivant.

Selon la psychologue, également élue SNPES-PJJ/FSU, c’est cette petite phrase qui a valu à Hassan une fouille à nu malgré ses protestations. « C’est clairement en représailles, une humiliation de l’agent pénitentiaire pour lui montrer qui est le plus fort et qu’il fait ce qu’il veut », ajoute la psychologue qui a assisté à la scène depuis le « parloir des avocats » où elle rencontre les mineurs suivis.

Les fouilles à nu doivent être motivées et inscrites au dossier

Problème, ces fouilles à nu doivent être motivées par les agents selon l’Observatoire international des prisons (OIP) qui cite une circulaire de l’article 57 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 et qui a saisi l’administration pénitentiaire sur ce cas. « Il faut qu’il y ait une suspicion d’introduction d’objet illicite ou de risque pour la sécurité de l’établissement établi, explique Odile Macchi, responsable du pôle Enquête de l’OIP, donc ici, à moins de mettre en cause la probité de la psychologue, une professionnelle qui travaille depuis dix-huit ans dans les prisons, il s’agit clairement d’une réaction à la phrase du mineur. »

En sus, pour une fouille à nu, si la décision peut être orale, en cas d’urgence, elle doit être retranscrite ultérieurement, pour en assurer la traçabilité. « Or ici, rien n’a été noté dans le dossier, ni trace de la fouille ni de ses motivations », précise Odile Macchi qui souligne que l’établissement de Villepinte connaît beaucoup de problèmes du même type avec les mineurs et avait connu un vague de suicides en 2023.

Des conséquences destructrices sur les adolescents

« En plus de la provocation et de l’humiliation, il y a une atteinte à la pudeur de l’adolescent. En prison, on est privé de liberté, pas de dignité », s’indigne Julie H. qui s’inquiète des conséquences sur l’adolescent à court et long terme. « Quand on est en détention, on s’habitue à des mauvais traitements, notamment du fait des surveillants. La normalité et la loi ne sont pas présentes là où ils sont envoyés, normalement, pour prendre conscience de leurs transgressions. C’est aussi mon rôle de les accompagner dans le respect de la loi. Mais comment pensez-vous qu’ils vont réagir ensuite si on leur montre que c’est la loi du plus fort qui prédomine ? », explique-t-elle.

Un fait inquiétant pour tout détenu, mais qui peut-être ravageur pour des adolescents : « En détention, on ne trouve que des gamins qui ne vont pas bien, avec une dimension dépressive, des histoires familiales catastrophiques, des parents qui ne peuvent pas venir… La transgression est un acte autodestructeur. Or, si on place un gamin qui s’autodétruit dans un endroit qui détruit tout court, ça ne peut pas donner de résultats très probants », ajoute la psychologue qui rappelle que les mineurs sont seuls en cellule, avec parfois seulement deux heures pour en sortir et avoir des échanges sociaux.

« Une omerta » sur ces abus

Si le cas d’Hassan n’est pas isolé et ce type de comportement par les surveillants souvent remonté, il est peu fréquent qu’ils aient lieu directement devant une personne extérieure à la prison. Raison pour laquelle la psychologue comme l’OIP en « profitent » pour tirer la sonnette d’alarme.

« Il y a une omerta de l’administration pénitentiaire et des chefs d’établissements par rapport à ce type de comportements, des abus, pas majoritaires mais très réguliers. Cela nous remonte souvent, mais très difficile à prouver », explique Odile Macchi qui reproche à plusieurs établissements et direction interrégionale de ne pas communiquer leurs rapports d’activité malgré l’obligation légale et les injonctions de la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada).

Ce mercredi, Hassan a refusé le parloir avec sa psychologue.

*Le prénom a été modifié