« Ma victoire, ce serait que ces médecins n’exercent plus », lâche Priscilla, amputée des quatre membres après une IVG
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«Vous ne donnez pas l’image d’une infirme madame, c’est déjà une victoire », s’émeut Etienne Olivier, procureur de la République, ce mardi au deuxième jour du procès en correctionnelle du CHU de Bordeaux, en tant que personne morale, et de deux médecins gynécologues obstétriciens, poursuivis pour blessures involontaires. Soutenue par sa famille et sa belle-famille, Priscilla, mère de trois enfants, victime d’une maladie nosocomiale, a subi près de 90 opérations pour se tenir debout le jour du procès, quatorze ans après que sa vie a basculé.
Le 22 juillet 2011, cette femme de 35 ans subit une interruption volontaire de grossesse (IVG). S’ensuit une complication infectieuse qui n’est pas décelée à temps et dégénère en choc septique. Elle a dû être amputée des quatre membres et a subi des greffes et de nombreuses opérations pour se reconstruire.
Sa santé est toujours très fragile. « J’ai des mains greffées, des prothèses aux jambes. J’ai des cicatrices partout parce que tout s’est nécrosé : la peau de mes cuisses, de mes seins, de mes fesses, énumère douloureusement Priscilla, auprès de 20 Minutes. J’en suis ressortie massacrée. » Elle a dû renoncer à sa vie professionnelle dans le prêt-à-porter. « Je ne peux pas tout faire avec des mains greffées », explique-t-elle.
« Un mur d’indifférence et de mépris »
Que s’est-il passé pour que la trentenaire vive une telle descente aux enfers ? Après son IVG, on lui indique à sa sortie de se rendre aux urgences gynécologiques en cas de problème, ce qu’elle fait quand elle se sent fiévreuse et très fatiguée, le lendemain vers midi. Elle arrive même en ambulance, avec une lettre de son médecin traitant qui restera visiblement dans un bac de l’accueil, sans qu’elle soit communiquée à temps aux soignants.
Accompagnée par ses belles-sœurs, elle patiente plusieurs heures, gémissant sur un brancard, sans qu’on l’examine. « J’ai réclamé des soins suite à une intervention chirurgicale avec de la fièvre et, en arriver là au bout de trois jours, alors que j’ai supplié pour être soigné et que tous les éléments étaient là… », se lamente Priscilla. Ses extrémités sont gelées et des marbrures apparaissent peu après son arrivée au CHU.
« J’ai fait face à un mur d’indifférence et de mépris, continue Priscilla. Une interne a dit à mon beau-frère, médecin, qu’elle pensait que je vivais mal mon IVG, alors qu’elle ne m’avait même pas examinée. Elle m’a pris pour une bourgeoise qui faisait du cinéma et qui voulait se faire masser les pieds et les mains. » A ce moment-là, ses belles-sœurs lui frictionnaient les extrémités pour tenter de la soulager un peu. « On ne s’est pas beaucoup préoccupé d’elle, tonne son avocate, maître Aurélie Coviaux. Ce que pensent les médecins à ce moment-là c’est qu’elle décompense de son IVG avec une grosse gastro. »
« Le risque infectieux n’est pas envisagé »
Pour le procureur, les collèges d’experts sollicités dans ce dossier, dont l’instruction aura duré onze ans, sont unanimes pour dire qu’il fallait prescrire « un antibiotique probabiliste » soit à large spectre, après le retrait du stérilet de la patiente.
Mais pour l’avocat d’un des deux gynécologues, maître Arnaud Dupin, il est bien facile de reconstruire l’histoire a posteriori. « Selon les éléments disponibles au moment T, il y avait une CRP [marqueur d’une inflammation aiguë] normale, certes un peu élevée mais compatible avec l’IVG récente, fait-il valoir dans sa plaidoirie. Il n’y avait pas d’urgence à prescrire un antibiotique, le risque de sepsis [réaction extrême à une infection] était de 15 à 20 %. » Son client a suivi les préconisations et il l’a dit à la barre lundi, il ne pouvait rien faire de plus.
Un argument que sa consœur maître Aurélie Coviaux avait anticipé « on ne dit pas que la médecine est une science exacte ou que les médecins sont des devins mais la difficulté, c’est qu’on a évacué des diagnostics. » Le temps que les analyses bactériologiques du laboratoire soient disponibles, elle estime qu’il fallait agir. « Le streptocoque du groupe A [SGA], c’est très rare mais le risque infectieux n’est pas envisagé or c’est la fonction de l’antibiothérapie probabiliste », souligne-t-elle.
« Ni excuse ni remise en question, c’est assez effrayant »
Un antibiotique à large spectre type Augmentin aurait-il suffi à sauver la patiente ? Il est difficile de répondre à cette question. « Cela aurait pu limiter les amputations massives qu’elle a subies, estime son avocate. Les experts s’accordent à dire que la chance d’être sauvée reposait sur une extrême précocité de l’antibiothérapie ».
Maître Bernard Benaiem, qui défend l’autre gynécologue, rappelle que le choc septique est installé à 13 heures ou 13h30 et que son client n’est sollicité que quelques heures plus tard. « Il a adressé la patiente à un anesthésiste et c’était la chose à faire », fait-il valoir. On ne sait pas quand exactement l’infection aurait pu être stoppée, selon lui, il est donc impossible d’imputer la responsabilité à son client. « Rien ne pourra enlever le drame de cette vie mais en matière pénale, les faits ne sont pas constitués, conclut-il. Il n’y a pas de coupable, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de responsables. »
« Cela fait froid dans le dos, les médecins déclarent qu’ils referaient la même chose, s’indigne Priscilla, lors d’une suspension d’audience. Ils n’ont fait présenter aucune excuse ni remise en question, c’est assez effrayant ».
Douze et seize mois de prison avec sursis requis
Pour elle, il aurait fallu lui donner un antibiotique à large spectre pour éviter le choc septique. « Ce n’était pas quelque chose de compliqué. Ces médecins, exerçant dans un hôpital, avaient juste à faire leur travail correctement, grince-t-elle. Moi ce que j’aimerais c’est qu’ils n’exercent plus leur métier. Pour moi, ce serait ça la victoire. »
Le procureur a requis douze et seize mois de prison avec sursis contre les deux gynécologues, 10.000 euros d’amende chacun et une interdiction d’exercer la médecine pendant quelques semaines « pour qu’ils mesurent la situation ». La peine requise contre le CHU de Bordeaux en tant que personne morale est de 50.000 euros d’amende dont 30.000 euros fermes. Les avocats de tous les prévenus ont plaidé la relaxe.
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Le délibéré sera rendu le 14 avril dans cette affaire.