France

Terrorisme : « Sadique, ludique »… Mehdi Nemmouche jugé pour avoir séquestré et torturé des journalistes français

C’était il y a six ans, presque jour pour jour, le 7 février 2019. Nicolas Hénin et Didier François, deux journalistes français, se tiennent face à la cour d’assises de Bruxelles, cités comme témoins dans l’attentat du musée juif. Les deux hommes n’étaient pas présents ce jour-là, n’avaient aucun lien avec les quatre victimes assassinées et n’ont pas couvert l’affaire. Non, s’ils ont été cités, c’est avant tout pour éclairer la personnalité du tireur. « Je n’ai absolument aucun doute sur le fait que Mehdi Nemmouche, ici présent, était mon geôlier et mon tortionnaire en Syrie, sous le nom d’Abou Omar », insiste le premier. Le second acquiesce. « Malheureusement, on a passé de nombreuses heures avec lui. »

Tous deux ont été détenus pendant dix mois en Syrie, entre juin 2013 et avril 2014. Mehdi Nemmouche, soupçonné d’avoir été leur geôlier entre juillet et décembre, est resté silencieux, impassible même, en les écoutant raconter les coups, la privation de nourriture, les simulations de noyade… Il l’a également été tout au long de l’instruction. Le sera-t-il également lors de son procès ?

Condamné à la réclusion criminelle à perpétuité pour l’attentat du musée juif en 2014, il est jugé à partir de ce lundi au côté de quatre autres hommes pour séquestration, actes de torture et de barbarie en bande organisée et en relation avec une entreprise terroriste. « Je m’efforce de l’inciter à parler, à s’expliquer, mais je ne peux pas garantir qu’il le fera », reconnaît son avocat, Me Francis Vuillemin. Et de préciser : « Mais quelle que soit sa décision, il ne reconnaît pas les faits. Il n’a pas de difficulté à admettre son engagement au sein de l’État islamique mais il était un soldat, pas un geôlier. »

Deux accusés vraisemblablement morts en Syrie

Dans le box des accusés, se tiendront également Abdelmalek Tanem, un Français déjà condamné pour avoir rejoint la Syrie en 2012, ainsi qu’un Syrien, Kais Al-Abdallah, interpellé en Allemagne en 2019. Après s’être fait passer pendant plusieurs années pour un réfugié, il a finalement été démasqué. Tous deux nient les faits. Les deux derniers accusés – dont Oussama Attar, cerveau des attentats de novembre 2015 – sont vraisemblablement décédés en Syrie. Et si en France, on ne juge pas les morts, les magistrats antiterroristes ont décidé, en l’absence de preuves formelles, de les renvoyer devant la justice.

Ils sont jugés pour la séquestration de sept Occidentaux : Nicolas Hénin et Didier François, donc, deux autres journalistes français, Edouard Elias et Pierre Torres, un journaliste espagnol et deux humanitaires, un Italien et un Britannique. Ce dernier, David Haines, a été exécuté en septembre 2014, les autres ont été libérés.

Une captivité de près de 300 jours

Leur calvaire a commencé en juin 2013. Le 6, Didier François et Edouard Elias ont été enlevés en plein jour dans la région d’Alep. Quelques jours plus tard, Nicolas Hénin et Pierre Torrès sont kidnappés à leur tour, à quelques centaines de kilomètres de là. Le début d’une captivité qui durera près de 300 jours pour ces quatre journalistes, premières victimes françaises de l’État islamique. Des mois durant, ils sont brinquebalés aux quatre coins du pays, au gré des combats qui font rage entre l’armée de Bachar El-Assad et les djihadistes. Mais partout, leur quotidien est marqué par la même violence. Des tortures physiques – coups de matraque, écrasement de doigts avec une pince, décharge électrique, privation de nourriture parfois plusieurs jours – et des violences psychologiques. Tous racontent les simulations de noyade ou d’exécution. « A genoux, un canon de kalachnikov sur la nuque », confiera l’un d’eux.

Et puis, il y a ce qu’ils ne voient pas. « Nos nuits étaient meublées des bruits des coups, des tortures, des hurlements des prisonniers syriens qu’on balançait contre notre porte », confiera pudiquement à la cour d’assises de Bruxelles, Nicolas Hénin. A chaque fois, il y a cette peur d’être le prochain. Ils estiment toutefois que leur sort est plus enviable que celui de leurs co-otages, notamment anglo-saxons. Le journaliste américain James Foley est celui dont le sort est le plus rude, victime de tortures et de coups quasi quotidiennement. Il finira par être décapité, en août 2014, comme cinq autres otages américain ou anglais. A chaque fois, l’EI mettra en scène leur exécution avant de la diffuser sur les réseaux sociaux.

« Sadique, ludique et narcissique »

Parmi les geôliers, certains se distinguent par leur inhumanité et leur cruauté. Les « Beattles », d’abord, trois djihadistes surnommés ainsi en raison de leur accent caractéristique de l’Est londonien, considérés comme les cerveaux des prises d’otages. Et Mehdi Nemmouche enfin. Nicolas Hénin le décrit comme « sadique, ludique et narcissique » devant la cour d’assises de Bruxelles.

Celui qui se fait appeler Abou Omar est fan de l’émission Faites entrer l’accusé, fredonne son générique et fait même des « quizz » aux otages. Souvent, ils l’entendent siffloter du Trenet ou du Aznavour. L’instant d’après, les coups pleuvent. Selon leur récit, il prend un malin plaisir à simuler une exécution au sabre. Parfois, il propose un thé aux otages mais lorsqu’ils tendent la main pour saisir la tasse, il leur verse de l’eau brûlante dessus. « Le dossier ne repose que sur les récits de ces journalistes or leurs déclarations ont beaucoup évolué, insiste l’avocat du djihadiste. Mon client n’a rien à perdre mais refuse qu’on lui colle un rôle qu’il n’a pas occupé ».

Selon le récit des quatre français, Mehdi Nemmouche a arrêté de jouer les geôliers à la fin de l’année 2013. C’est le moment où il se mettra en route pour l’Europe. Un mois après le retour des quatre Français, Mehdi Nemmouche tuera quatre personnes au Musée juif de Bruxelles. Le premier attentat commis au nom de l’État islamique en Europe. Le premier d’une longue série.