Affaire Bétharram : « Bayrou a clairement soutenu l’établissement » à l’époque, accuse l’avocat d’une victime
Il a répété, mardi à l’Assemblée nationale, n’avoir « jamais été informé de quoi que ce soit de violences ou de violences a fortiori sexuelles ». Avant d’enfoncer le clou, mercredi : « Jamais je n’ai été, à cette époque, averti […] des faits qui ont donné lieu à des plaintes ou à des signalements », a-t-il redit devant les députés.
Pressé par des élus de la gauche depuis plusieurs jours et un article de Mediapart, le Premier ministre et maire de Pau (Pyrénées-Atlantiques) François Bayrou reste sur la ligne de défense qui est la sienne depuis plus d’un an : il n’était au courant de rien de ce qui se serait passé durant des années derrière les murs de l’institut catholique Notre-Dame de Bétharram, situé à une trentaine de kilomètres de Pau, et à quelques encablures de Bordères, le village qu’il habite.
Méthodes « à la dure »
Entre la fin des années 1950, et le début des années 2010, des faits de violence et de violence sexuelle auraient été commis sur de nombreux élèves, par des religieux, des laïcs, et également entre élèves, dans cet établissement privé, qui accueille un collège et un lycée, et connu pour ses méthodes dites « à la dure ». Des actes qui ont débouché sur quelques plaintes au fil du temps, et même des procès.

Mais c’est en 2023, avec la création d’un collectif d’anciennes victimes, que l’affaire prend un nouveau tournant. Plusieurs plaintes sont déposées au début de l’année 2024, et ne cessent depuis de s’accumuler sur le bureau du procureur de Pau, qui en compte près de 120 désormais. La médiatisation de l’affaire Bétharram prend alors une toute ampleur, jusqu’à s’emballer cette semaine, avec cette question : François Bayrou savait-il ?
Président du conseil général des Pyrénées-Atlantiques de 1992 à 2001, ministre de l’Education nationale entre 1993 et 1997, député entre 1986 et 2012, François Bayrou est une figure politique locale depuis des décennies. Il a scolarisé trois de ses enfants à Bétharram dans les années 1990. Son épouse y a enseigné le catéchisme. « Avec l’aura qu’il avait, François Bayrou aurait très facilement pu faire cesser les agissements au sein de Bétharram, simplement en demandant que cela s’arrête », estime aujourd’hui Alain Esquerre, une ancienne victime de violence au sein de l’institution, à l’origine du collectif qui a fait éclater l’affaire.
Impossible « d’être à Pau à cette époque, et d’ignorer ce sujet »
Plusieurs anciennes victimes reprochent à l’actuel Premier ministre de n’avoir rien fait à l’époque. Lui, jure qu’il n’a « jamais été au courant de ces affaires-là » et qu’il « n’aurai[t] pas scolarisé [ses] enfants dans un établissement » s’il avait su qu’il s’y passait « des choses de cet ordre », a-t-il redit mercredi dans les colonnes du Monde.
Un certain nombre de témoignages remettent cependant en cause cette défense. L’avocat Jean-François Blanco, par ailleurs élu d’opposition (divers gauche) à la mairie de Pau depuis 2020, explique à 20 Minutes avoir été saisi en 1993 par la famille d’un enfant victime de violence au sein de Bétharram. « Leur garçon de 14 ans avait été frappé par un surveillant de Bétharram, et avait eu le tympan explosé. Puis on lui a imposé le supplice du perron, en sous-vêtements au bord du gave [d’Oloron]. J’ai porté plainte pour blessures volontaires et atteinte à la dignité, cela a débouché sur un procès en 1996, qui s’est traduit par la condamnation du surveillant. Or, l’un des fils de François Bayrou était dans la classe de ce jeune, et ce dossier a été très médiatisé sur un plan local. Ce n’était donc pas possible d’être à Pau à cette époque, et d’ignorer ce sujet, qui plus est quand on était responsable politique. »

Dans un article de Sud Ouest datant de 1996, on apprend par ailleurs que François Bayrou, alors ministre de l’Education, s’est rendu à Bétharram pour la réception de travaux de toiture, et qu’il a évoqué cette affaire à cette occasion : « Nombreux sont les Béarnais qui ont ressenti ces attaques avec un sentiment douloureux et un sentiment d’injustice, dit-il alors. Toutes les vérifications ont été favorables et positives. Le reste suit son cours. »
« François Bayrou a clairement soutenu l’institut, se souvient Jean-François Blanco. Un comité de soutien s’était par ailleurs créé en faveur de l’établissement catholique, avec à sa tête l’avocat de Notre-Dame, un proche de François Bayrou qui adhérait au même parti [l’UDF]. »
« La position de déni de François Bayrou est intenable »
En 1998, éclate « l’affaire du père Carricart » : Pierre Silviet-Carricart, ancien directeur de Bétharram, avait été mis en examen pour viol et tentative de viol, avant d’être exfiltré à Rome, et de mettre fin à ses jours, en 2000. « Une instruction a été ouverte, menée par le juge Mirande, ce qui a donné lieu à une couverture médiatique intense, rappelle Jean-François Blanco. Il est incompréhensible que François Bayrou prétende ne pas avoir eu connaissance de cette procédure, d’autant plus qu’il est avéré qu’il a rencontré le juge. » Le juge Mirande a en effet expliqué que François Bayrou, inquiet pour son fils, était venu le trouver pour lui parler.

Contacté par 20 Minutes, Jean-Louis Delbos, victime de viols entre la fin des années 1950 et le début des années 1960, assure de son côté que « l’épouse de François Bayrou a assisté aux obsèques du père Carricart », en 2000.
« La position de déni de François Bayrou est intenable, soutient Jean-François Blanco, mais ce qui peut-être encore plus frappant est qu’il n’a jamais manifesté sa compassion auprès des victimes, ni appelé à la manifestation de la vérité. Il n’utilise d’ailleurs pas le mot de victime. » Mardi dernier, François Bayrou a eu pour la première fois un mot pour elles : « Mes premières pensées vont aux garçons qui ont été en souffrance dans ce type d’affaire et, à eux, j’adresse ma sympathie. »
« J’aurais aimé qu’il m’envoie un mot »
En mars 2024, alors que la médiatisation de l’affaire était lancée, François Bayrou, interrogé sur le sujet, répétait n’avoir « jamais entendu parler » des accusations de viols. « Seule l’une de mes filles se souvient d’une affaire de claques données par un surveillant », déclare-t-il dans la presse. Jean-Louis Delbos, aujourd’hui âgé de 78 ans, assure pourtant lui avoir envoyé un courrier, le 16 mars 2024, dans lequel il relate sa sordide histoire.
« En 1957, arrive au dortoir un jeune ecclésiastique dont nous avions une peur irraisonnée, écrit-il dans cette lettre qu’il nous a transmis. La suite vous la subodorez… Venir la nuit, soutane ouverte, accroupi au pied de mon lit, pour venir me faire des attouchements et des fellations… Puis il allait faire sa macabre mission sur d’autres copains… Avec toujours le même lexique : « Rendormez-vous, c’est rien. » Cela a duré jusqu’en fin 1961. » « C’était un courrier explicite, il ne peut pas dire qu’il ne savait pas », assure à 20 Minutes Jean-Louis Delbos. « Mais le pire dans tout cela, est qu’il ne m’a jamais répondu… J’aurais aimé qu’il m’envoie un mot, qu’il me défende. Cela veut bien dire qu’il n’en a rien faire. »
« Il aurait déjà dû nous recevoir depuis longtemps, dire que tout ce qui s’est passé à Bétharram est inqualifiable, que ces prêtres ont trahi leur fonction, estime aussi de son côté Alain Esquerre. Mais c’est sa foi qui parle. Il a une relation au sacré considérable. » Celui qui est aussi présenté comme le porte-parole des victimes, a indiqué jeudi soir sur la radio Ici Béarn Bigorre avoir été contacté la même journée par François Bayrou. « Un échange franc, sincère, direct et honnête » mais qui « arrive quand même bien tard ».
L’affaire Bétharram « ne doit pas devenir l’affaire Bayrou »
Alain Esquerre confirme également que François Bayrou « ne peut pas dire qu’il n’était au courant de rien, vu les fonctions qui étaient les siennes, vu l’importance de l’établissement Bétharram, qui était connu pour ça ». Il souhaite toutefois que « l’affaire Bétharram ne devienne pas l’affaire Bayrou ». « Pas un seul politique ne s’était saisi jusqu’ici de ce dossier, et il faut que François Bayrou devienne Premier ministre pour que la déferlante arrive. Tous les élus de l’époque qui gravitaient autour de Bétharram peuvent être remis en cause. »
Notre dossier sur l’affaire Bétharram
Alain Esquerre demande aujourd’hui « qu’une commission d’enquête soit créée, ce qui révélera certainement énormément de dysfonctionnements, et que des moyens soient donnés à la justice pour que l’on instruise cette affaire, qui s’annonce tentaculaire ». « Je me demande ce qu’on attend, d’autant plus qu’à la faveur de la nouvelle médiatisation de l’affaire, une avalanche de nouvelles plaintes arrive, dont plusieurs pour viols. » Ce dossier « est parti pour durer plusieurs années », prévient-il.