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Guerre en Ukraine : Donald Trump et Vladimir Poutine vont-ils se partager l’Ukraine comme un « gâteau » ?

A la veille de la Saint-Valentin, Donald Trump et Vladimir Poutine ont déjà pris langue pour un restaurant en amoureux. Un mois seulement après la prise de poste du président des Etats-Unis, la question de la guerre en Ukraine est déjà au menu. Si ce n’est pas le fast-food annoncé d’une résolution en vingt-quatre heures, ce que le Républicain avait assuré être capable de faire lors de sa campagne, le chef d’Etat a toutefois déjà commencé à avancer ses pions. La composition du repas reste encore floue, mais le dîner est prévu en tête-à-tête, probablement en Arabie saoudite.

« Il est clair que la négociation se fera seulement entre Donald Trump et Vladimir Poutine », souligne Carole Grimaud. La chercheuse en Sciences de l’information et de la communication à l’université Aix Marseille ajoute que ces discussions excluant et l’Ukraine et l’Union européenne ont entraîné une réunion en urgence des ministres des Affaires étrangères européens. « Aucun accord [conclu] dans notre dos ne fonctionnera », a tempêté la cheffe de la diplomatie européenne, Kaja Kallas, ce jeudi. « N’importe quel accord aura aussi besoin de la participation de l’Ukraine et de l’Europe », a-t-elle ajouté. Volodymyr Zelensky, plus mesuré et fragilisé par l’abandon de son allié atlantique, a estimé qu’il n’était « pas très agréable » que le président américain converse en priorité avec Vladimir Poutine.

« Autour de la table » pour partager le « gâteau »

Mais Donald Trump néglige Bruxelles et Kiev. « Dans son esprit, les relations internationales évoluent en fonction d’une hiérarchie de puissance et dans un contexte anarchique. Il estime que les Etats-Unis peuvent faire des choses que les acteurs plus mineurs ne peuvent, eux, pas faire. Il va donc négocier avec la Russie et l’Europe et l’Ukraine devront accepter ce qui sera décidé par d’autres. C’est la dure réalité », lance Mario Del Pero, professeur d’histoire contemporaine à Science Po Paris et spécialiste des Etats-Unis.

Une pilule amère pour l’Ukraine, envahie en février 2022 par Moscou, mais aussi pour l’Europe qui craint l’agressivité de ce géant territorial, planté à ses portes. « Le pire scénario, c’est celui dans lequel Donald Trump et Vladimir Poutine ne font primer que leurs intérêts nationaux et se mettent autour de la table pour partager le gâteau qu’est l’Ukraine », analyse Carole Grimaud. D’autant que le nouveau président américain ne cache pas son désir d’y gagner quelque chose.

Terres rares et bénéfice personnel

« Donald Trump a l’ambition mettre la main sur les ressources naturelles de l’Ukraine, pas seulement les terres rares comme le lithium, mais aussi les gaz naturels », souligne Mario Del Pero, qui rappelle que de nombreux « groupes industriels états-uniens sont très liés à l’administration Trump ». Comme toujours pour le magnat de l’immobilier, son expérience de businessman oriente ses décisions, même en matière de guerre et de paix. « Tout ce qu’il voit ce sont les richesses des terres ukrainiennes et le bénéfice d’avoir de bonnes relations avec la Russie », note Carole Grimaud.

Historiquement, le gendarme du monde a tendance à envoyer des troupes pacificatrices, mais Donald Trump a un autre style de garanties de sécurité en tête. « Dans un raisonnement brutal et transactionnel, il va probablement garantir la sécurité de l’Ukraine en échange de l’accès à ses ressources » qu’il convoite tant, note Mario Del Pero. « Washington ne veut pas envoyer de troupes américaines en Ukraine. Mais si ces terres rares sont exploitées par les Etats-Unis, on peut être quasiment certains qu’elles ne seront jamais attaquées par la Russie », précise toutefois Carole Grimaud.

Le plat de résistance chinois

Même après avoir évincé la moitié des acteurs, les négociations ne seront pas faciles. « Certains des territoires ukrainiens riches en matériaux rares se situent dans le Donbass, dans des régions annexées [illégalement] par la Russie. Les négociations pourraient coincer à ce niveau-là du côté russe », illustre Carole Grimaud. « Les discussions seront probablement infinies pour négocier sur trois mètres par ici et quatre mètres par là », renchérit Mario Del Pero.

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Mais si Poutine semble manœuvrer à sa guise depuis l’élection américaine, Donald Trump compte bien tordre le bras de son homologue russe et jouer sur « l’asymétrie des forces ». « La Russie doit accepter qu’elle n’obtiendra pas ce qu’elle espérait au début de la guerre. Vladimir Poutine espérait décapiter le leadership ukrainien et ramener le pays dans la sphère d’influence russe, il devra se contenter de victoires territoriales », analyse Mario Del Pero. De toute façon, Donald Trump a déjà un autre rencard en tête. Le « gâteau » de l’Ukraine fait plutôt office d’apéritif pour le président américain qui garde les yeux rivés sur le plat de résistance : la Chine. « En négociant sur l’Ukraine, Donald Trump espère aussi séparer la Russie de la Chine. C’est son véritable rival, aujourd’hui », glisse Mario Del Pero.