Protoxyde d’azote : « Certains n’arrivent plus à marcher »… Cet addictologue a créé la première téléconsultation dédiée
Le gaz hilarant ne fait plus rire depuis longtemps. Vendu sous forme de cartouches ou de bonbonnes, le protoxyde d’azote, communément appelé « proto », est à la base utilisé pour les siphons à crème chantilly ou pour un usage médical. Mais il est de plus en plus détourné, prisé pour son côté euphorisant très rapide et de courte durée. Il est le plus souvent inhalé via des ballons de baudruche gonflés par ces cartouches ou bonbonnes.
En 2022, 13,7 % des 18-24 ans en avaient déjà consommé, d’après une étude de Santé publique France. Fin janvier, les députés ont adopté l’interdiction de sa vente aux particuliers afin de réduire sa consommation. L’occasion d’interroger Christophe Riou, médecin addictologue aux Hospices civils de Lyon, qui a créé en novembre dernier la première téléconsultation dédiée aux consommateurs de proto.

Pourquoi avez-vous décidé de créer cette téléconsultation ?
Je travaille à l’hôpital neurologique à Lyon. Parmi les patients, je vois beaucoup de jeunes prenant du proto et je constate les conséquences de cette consommation, notamment avec le développement de polyneuropathies (une maladie nerveuse provoquant des picotements douloureux dans les pieds et les mains) ou des scléroses combinées de la moelle. Généralement, ces personnes n’ont pas de médecin traitant parce qu’elles sont jeunes et jamais malades. Elles arrivent donc à un stade tardif. Et c’est ce qui nous embête.
Quels sont les signes qui doivent alerter ?
Au début, les signes sont mineurs, avec une difficulté à respirer, une apathie, voire des vomissements. Souvent, ça inquiète assez peu les neurologues. Mais après, on a ce que j’appelle les « protosignes » : des picotements avec une instabilité et une faiblesse dans les jambes. Souvent, les jeunes se disent « il faut que j’arrête » mais ne savent pas si c’est grave ou pas. Ces premiers signes doivent alerter. Car sinon, cela peut donner lieu à des pathologies dont ils garderont des séquelles, comme la sclérose combinée de la moelle ou une neuropathie.
Quels sont les profils des personnes que vous avez en consultation ?
Très majoritairement des jeunes de moins de 30 ans. Parmi eux, j’ai identifié deux types de consommateurs. Les « chroniques, thérapeutiques, dépressifs » qui consomment le soir parce qu’ils sont tristes et que ça les fait rire et leur fait du bien. Les autres, ce sont ceux qui font « la fiesta à la bonbonne ». Au lieu de prendre deux packs de bières, ils prennent deux packs de six bonbonnes de proto.
J’ai par exemple eu un patient de 21 ans qui avait commencé à consommer quatre ans plus tôt dans un contexte festif et qui en est arrivé à une consommation de plusieurs bonbonnes, seul, tous les soirs. Depuis un mois, il avait des paresthésies, des fourmis dans les jambes qui sont progressivement remontées jusqu’à ses mains. Il a ensuite eu des troubles de l’équilibre, avec des chutes. Quand il a consulté, il avait des béquilles et n’arrivait plus à marcher sans aide depuis vingt-quatre heures. Certains n’arrivent plus à marcher, d’autres à uriner tellement l’atteinte neurologique est importante.
Comment expliquez-vous ces symptômes neurologiques ?
Quand on prend une bouteille de proto, on détruit une partie du stock de vitamine B12, une vitamine nécessaire au bon fonctionnement de nos neurones qu’on trouve dans notre alimentation. Si on prend souvent du proto, cela donne lieu à une destruction chronique de notre stock de B12. Si on en prend vraiment trop, on n’a plus de stock et on a beau en manger, le proto la détruit automatiquement. Les neurones n’ayant plus de B12, c’est là qu’apparaissent les premiers signes.
Et on s’est rendu compte que l’atteinte ne se fait pas seulement sur les neurones moteurs mais aussi sur les cognitifs. C’est ce qui nous inquiète beaucoup. Un patient m’a par exemple expliqué qu’il était sorti pour faire des courses et, une fois dehors, avait totalement oublié ce qu’il était parti faire, longtemps après avoir consommé du proto. Pour restaurer le stock de vitamine, et donc « réparer » ces neurones, il faut un arrêt total et prolongé du proto. L’essentiel est donc de trouver un moyen d’arrêter coûte que coûte sa consommation. Mais pour certains, ce n’est pas évident.
Existe-t-il un traitement efficace pour lutter contre cette dépendance ?
Il n’y a pas de traitement substitutif au protoxyde d’azote à proprement parler, comme c’est le cas du subutex avec l’héroïne par exemple. Mais on a des moyens de traiter différemment les besoins des consommateurs. Si un jeune m’explique qu’il en prend parce qu’il a besoin de se calmer le soir, je vais par exemple lui montrer qu’il existe des médicaments pouvant l’aider et qui, eux, ne donnent pas de neuropathie et ont fait l’objet de nombreuses études depuis des dizaines d’années.
En parlant avec eux, on peut aussi découvrir des maladies sous-jacentes comme une dépression, un trouble bipolaire ou une schizophrénie. Car souvent, ces jeunes utilisent le proto comme une bouée parce qu’ils vont mal.