France

Bretagne : Le tilde du prénom Fañch continue de crisper, une nouvelle famille devant la justice

On les fête le 4 octobre comme les François, dont c’est l’équivalent breton. Et bien que le prénom Fanch ne soit pas courant, avec seulement six naissances en 2023 selon le très sérieux site Parents.fr, il continue de faire des vagues. Comme cette petite vague symbolisant le tilde que certains parents ont choisi pour le prénom de leur enfant en l’orthographiant Fañch. Un signe diacritique très courant dans la langue espagnole, mais qui fait l’objet d’une bataille judiciaire de notre côté des Pyrénées.

Souvenez-vous. En 2017, le petit Fañch Bernard, qui avait vu le jour en mai à Quimper, avait fait les gros titres. L’affaire avait éclaté quand un officier d’état civil avait refusé l’inscription du « n » tildé sur le prénom du bébé. Quatre mois plus tard, le tribunal de la ville avait enfoncé le clou en refusant que le petit Fañch garde son tilde, au motif que ce signe en forme de « s » couché n’était « pas reconnu par la langue française », et que l’admettre « reviendrait à rompre la volonté de notre Etat de droit de maintenir l’unité du pays et l’égalité sans distinction d’origine ». Rien que ça.

Validé par le maire mais refusé par le procureur

Les parents du petit breton avaient à l’époque fait appel de cette décision et obtenu gain de cause en novembre 2018, avant que le parquet ne dépose un recours en cassation. Un recours finalement rejeté à l’automne 2019. L’histoire aurait donc pu s’arrêter là avec la liberté accordée aux parents de mettre ou non un tilde sur le prénom de leur bout de chou. C’est en tout cas ce que pensait un couple de Lorient qui a donné naissance le 17 juin 2023 à son premier enfant prénommé… Fañch, le prénom que portait l’arrière grand-père du nourrisson. « Pour mes clients, l’affaire était close vu que la justice avait autorité le tilde », indique Maître Iannis Alvarez, l’avocat de la famille.

L’officier d’état civil a bien tiqué au début mais le maire de Lorient, Fabrice Loher, a finalement validé l’enregistrement du prénom cinq jours plus tard, estimant que « la jurisprudence des tribunaux judiciaires l’autorise ». Quelle ne fut donc pas la surprise du couple, deux mois et demi plus tard, quand ils ont appris dans un courrier que le parquet de Lorient leur demandait de supprimer le tilde au motif que « ce signe diacritique est inexistant, tant en français qu’en droit positif ».

Le passeport et la carte d’identité avec le tilde

Le procureur Stéphane Kellenberger s’appuyait alors sur la décision en mai 2021 du Conseil constitutionnel qui avait censuré deux articles de la loi Molac sur les langues régionales, dont l’un « prévoyait la possibilité de rédiger les mentions des actes avec des signes diacritiques utilisés par les langues régionales, parmi lesquels le ñ du breton et du basque ». « Dans la mesure où cette décision du Conseil constitutionnel, juridiction évidemment supérieure, s’oppose à la jurisprudence antérieure de la Cour d’appel de Rennes, je ne peux, légalement, que procéder à la rectification administrative de l’erreur purement matérielle entachant l’écriture du premier prénom attribué à votre enfant », écrivait alors le magistrat.

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Après ce coup de massue, les parents de Fañch Pichancourt ont donc décidé de porter l’affaire devant la justice, avec une audience qui se tiendra ce jeudi matin devant le tribunal de Lorient. « L’enfant a un passeport et une carte d’identité avec un tilde que l’administration centrale a accepté de délivrer, mais le procureur de Lorient a dit non, c’est totalement absurde », souligne Maître Iannis Alvarez.

« Du militantisme contre les langues régionales »

Pour l’avocat de la famille, « le tilde n’est pas un signe diacritique régional puisqu’il existe dans la langue française ». Il cite en exemple le « n » tildé que porte Laurent Nuñez, ancien secrétaire d’État et aujourd’hui préfet de police de Paris. « On retrouve aussi des tildes dans le dictionnaire de l’Académie française, poursuit Me Alvarez. Et même dans l’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539 qui instaure le français comme langue nationale et unitaire de la nation. Comme quoi l’État connaît très mal sa propre histoire ».

Député Liot de la 4e circonscription du Morbihan, Paul Molac fustige lui aussi la décision du parquet de Lorient. Mais surtout celle du Conseil constitutionnel qui avait censuré une partie de sa loi, y voyant « du militantisme contre les langues régionales ». « La population ne comprend plus cette politique consistant à essayer d’invisibiliser ou d’éradiquer les langues régionales », dénonce-t-il, estimant aussi que « la justice, qui manque de moyens, perd son temps dans ce dossier ». « On dirait que les parquets n’ont que ça à faire », enfonce Maître Iannis Alvarez.

Une quatrième affaire Fañch bientôt devant la justice

Et ce feuilleton Fañch ne s’arrête pas là puisque la cour d’appel d’Angers rendra sa décision fin février sur le dossier d’un autre petit garçon né en juillet 2023. Comme celui de Lorient, le procureur d’Angers a demandé aux parents de retirer le tilde du prénom de leur enfant au motif, cette fois, que cela était « contraire à l’intérêt de l’enfant ». « Qui peut sérieusement faire croire que le tilde porte atteinte à l’intérêt de l’enfant ou que cela menace la Nation, la langue ou bien encore l’identité française ? », interroge Maître Alvarez, également avocat de la famille angevine.

Selon nos informations, une quatrième affaire Fañch devrait prochainement être examinée devant la justice. « Les parquets iront au bout mais nous aussi, avec un arbitrage qui se fera in fine devant la Cour européenne des droits de l’homme », promet Maître Alvarez.