Bart De Wever, la stratégie de l’homme d’État
Le Premier ministre est un nationaliste flamand. Mais il veillera à respecter les institutions, comme il l’a fait durant les négociations de l’Arizona. En termes d’image, il mettra en avant son sens des responsabilités et sa modération. Pas étonnant de la part de ce conservateur qui hait les révolutions…
- Publié le 05-02-2025 à 06h56
Comme la Belgique a changé en dix ans… Lors de la mise en place de la majorité « suédoise » en 2014, l’opposition au gouvernement dirigé par Charles Michel disait entendre « des bruits de bottes« . La N-VA faisait irruption dans le jeu fédéral et beaucoup de francophones dans les rangs du PS, du CDH et d’Écolo s’en alarmaient : au fédéral, le MR s’était fait le complice d’une formation héritière de la collaboration…
En 2025, les nationalistes flamands font non seulement leur retour au pouvoir, mais s’emparent aussi du 16, rue de la Loi. Les réactions sont désormais plus prudentes : les critiques se concentrent sur l’accord de gouvernement, de manière assez classique, mais pas ou très peu sur la présence de la N-VA au cœur du pouvoir fédéral. Plus étonnant encore, Bart De Wever, l’homme qui estimait que les francophones étaient des junkies drogués aux allocations de chômage, est relativement épargné. Alors qu’il devient Premier ministre et que c’est sur ses épaules que reposera la défense de l’intérêt général à l’échelle de la nation… belge.
La fin du romantisme politique
Bart De Wever est un conservateur. Intellectuellement, il s’inscrit d’ailleurs dans la filiation d’Edmund Burke (1729-1797). Ce philosophe irlandais, méconnu dans l’univers francophone, est le penseur qui a le plus influencé Bart De Wever, de son propre aveu. Burke constitue le pilier intellectuel du courant libéral-conservateur anglo-saxon. Immédiatement hostile à la Révolution française dont il dénonce l’orgueil démiurgique, il publie en 1790 un ouvrage qui s’imposera comme une référence, Réflexions sur la Révolution de France. Il y critique les révolutionnaires français au nom des Lumières, sans basculer dans la Réaction. Du sang dans les rues au nom d’une grande idée, l’anarchie ? C’est tout ce que déteste Bart De Wever…
Il se plie aux rites belges
Ce dernier est avant tout un légaliste. Le fédéralisme belge, tel qu’il existe aujourd’hui, ne le satisfait pas, mais il en respectera les institutions. Comme il l’a démontré largement en se pliant avec patience aux rites politiques belges. Des missions d’information, de préformation et de formation confiées par le Roi, les audiences au Palais, les négociations interminables en vue de la constitution d’une nouvelle majorité… Tout cela, il ne l’a pas enduré pour les beaux yeux de la Belgique : Bart De Wever veut avant tout réformer le marché de l’emploi, les pensions, la fiscalité, remettre le budget fédéral sur les rails, mieux contrôler la migration…
Comme chef du nouvel exécutif N-VA/MR/Vooruit/CD&V/Engagés, Bart De Wever va ajuster son style. Lors de ses premières interviews, il a veillé à lisser son discours. Lui qui aime émailler ses phrases de piques assassines, il prend désormais de la hauteur et a même adouci le ton de sa voix. C’est la stratégie de l’homme d’État. Le narratif de la N-VA est le suivant : l’ancien bourgmestre d’Anvers ne rêvait pas de ce poste, contrairement à d’autres au sein de la classe politique. Il l’a accepté, selon ses dires, par sens du devoir.
« Un modéré », un « pince-sans-rire »…
« S’il reste dans la même ligne que sa mission de formateur, il devrait agir en homme d’État, oui, analyse un fin observateur de la politique fédérale. Il cherche les compromis, il est modéré et manie l’humour pince-sans-rire. Mais le vieux lion reste capable de donner quelques coups de griffes quand c’est nécessaire. Regardez sa plaisanterie lors de la Saint-Nicolas… » Début décembre, alors formateur, Bart De Wever a posté sur Instagram une vidéo le montrant déguisé en Saint-Nicolas et se plaignant que les petits enfants bruxellois ne parlaient pas le néerlandais et se montraient très vilains… Contrairement aux petits Anversois. Installé au « 16 », il ne devrait pas multiplier ce genre de plaisanteries.
Un ancien négociateur de l’Arizona est également persuadé que Bart De Wever sera un facteur de stabilité dans la vie de l’Arizona : « Sérénité, calme, rigueur, mais humour british, et accents churchilliens : il a promis des larmes et du sang« , résume cette source. Se comporter en homme d’État, au-dessus de la mêlée, c’est aussi son intérêt. Comme locataire du « 16 », il devra assurer la recherche des compromis dans la vie de son gouvernement afin d’éviter sa paralysie ou même sa chute…
Un danger menace toutefois le grand patron de la N-VA : le « syndrome Alexander De Croo ». L’ancien Premier ministre, lui aussi, mettait en avant son sens des responsabilités, son sens de l’État et assumait les compromis au sein de la Vivaldi. En diluant ainsi sa ligne, il a entraîné son parti, l’Open VLD, dans une débâcle électorale. Bart De Wever est-il prêt lui aussi à payer un jour ce prix ?